La République en danger ! Le rapport remis mercredi au gouvernement laissant en suspens le choix de construire un aéroport, les experts télévisés ont insisté sur l’indispensable évacuation de la ZAD. Une zone de non-droit, une contre-société peuplée d’utopistes idéologues qui préparent des combats ultraviolents en amassant des armes non conventionnelles.
« La ZAD de Notre-Dame-des-Landes sera évacuée fin janvier, quelle que soit la décision prise sur l’aéroport », annonce Anne-Sophie Lapix en ouverture du 20 heures de France 2. « Les experts ne tranchent pas vraiment mais ils préconisent le rétablissement de l'Etat de droit et donc l’évacuation des zadistes dans les prochaines semaines », prévient Gilles Bouleau au même moment sur TF1. « Nouvel aéroport ou pas, la ZAD sera évacuée, ça me semble une évidence », juge Yves Calvi dans 20h00, l’événement, sur Canal+. Mercredi, au soir de la remise au gouvernement du rapport sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, l’enjeu écologique a disparu au profit du « retour de l’Etat de droit » préconisé par le rapport.
« Pour les experts, une chose est sûre : il faut évacuer la ZAD au plus vite », répète Gilles Bouleau en développant ses titres. « Que va faire Emmanuel Macron ? », demande-t-il au chef du service politique de TF1. Là, surprise, Christophe Jakubyszyn répond : « Je peux déjà vous annoncer une décision certaine, c’est l’évacuation de la ZAD, occupée illégalement par des dizaines de protestataires depuis des années. » Des protestataires illégaux, ça fait deux raisons de les expulser. « C’est la décision la plus délicate politiquement parce que c’est la plus risquée. » A côté, la décision de construire (ou pas) l’aéroport en devient anodine.
« Il faudra mobiliser des centaines de policiers et il y a des risques d'affrontements très violents. Mais il en va de l'autorité du chef de l’Etat de supprimer une zone de non-droit qui défie la République depuis des années. » La République est en danger ! « Il y a une république qui est née au cœur de la France, qui s’appelle la ZAD, qui vit selon ses coutumes, avec des lois qui sont pas forcément les nôtres et qui vit très bien comme ça et qui peut pas être délogée », se désole Yves Calvi sur Canal+. « Les forces de l'ordre craignent une réplique ultra-violente des zadistes, révèle Anne-Sophie Lapix sur France 2. Ils les disent armés de boules de pétanque hérissées de clous, de piques et de herses. »
« Ceux qui occupent de façon quasi militaire le site se préparent au combat », assure Christophe Castaner en ouverture du reportage sur la prolifération des armes de destruction massives à Notre-Dame-des-Landes. « La ZAD est occupée par deux cents à trois cents personnes en état de siège permanent », confirme un reportage de BFMTV filmant en contre-plongée un talus hérissé de pieux meurtriers… A moins qu’il ne s'agisse de « clous géants »…
« Depuis quelques jours, explique la reporter de France 2, dans les journaux, certains gendarmes anonymes décrivent tout un arsenal chez les zadistes les plus déterminés. » En fait de « journaux », seul un article du JDD est montré sous ses différentes formes (en ligne et sur papier). « Une note interne évoque des stocks d’engins incendiaires, des pièges dans les bois et même la présence d’armes à feu. » Sans parler des missiles longue portée fournis par la Corée du Nord. « Dans les états-majors, les militaires parlent de herses plantées de clous géants, de boules de pétanques hérissées de lames de rasoir. » Euh… attendez, tout à l’heure, les boules de pétanques étaient hérissées de clous, maintenant, elles sont hérissées de lames de rasoir… Il faudrait savoir.
« Un haut gradé résume : “Ils nous attendent, ils se préparent à l’affrontement et on peut craindre des morts.” » Victimes des clous géants hérissés de lames de rasoir. « Pour les gendarmes, précise la journaliste, insister sur les armes qui seraient détenues par les zadistes serait un moyen de s’adresser à leur hiérarchie militaire pour obtenir le maximum de moyens. » Ah bon ? Mais alors, la mention de tous ces clous hérissés de boules de pétanque n’est peut-être qu’une intoxication… Sur Canal+, un politologue à l’université de Nantes, Goulven Boudic, fait aussi remarquer que la nécessité de « vider la ZAD » est une « figure imposée » de tout rapport sur Notre-Dame-de-Landes. Du coup, cela devient la figure imposée des débats d’experts. « Ils ont piégé cette zone de 1 200 hectares, lit-on ces derniers jours », rapporte Caroline Roux, animatrice de C dans l’air, sur France 5 et elle aussi lectrice du JDD. Pour Christophe Barbier, « les lois françaises sont piétinées par le haut, par les Gafa qui ne paient pas d’impôts, et piétinées par le bas par des zadistes qui n’ont aucune légitimité ». Et qui sait si les zadistes ne placent pas leurs économies dans les paradis fiscaux ?
« Les militants idéologues disent : “On occupe le terrain, on est plus légitime que la démocratie représentative” », rappelle Christophe Barbier, lui-même vierge de toute idéologie. « C’est à ça que Macron doit répondre, il doit montrer que la démocratie représentative peut encore fonctionner tout en n’envoyant pas des policiers, des CRS, des soldats au risque d'avoir des morts. » Par exemple, des morts par balle de ping-pong hérissées de hallebardes. « Parce que l'opinion ne supporte plus les remises en ordre violentes devant les caméras de télévision. » Il faudrait interdire les caméras pour pouvoir remettre en ordre les militants idéologues en toute tranquillité.
« C’est indispensable [d’évacuer la ZAD], agrée Ghislaine Ottenheimer, journaliste de l’écurie Renault-Challenges, invitée d’Yves Calvi sur Canal+. Parce que sinon il y a énormément de ZAD en puissance (sic) ou déjà existantes comme à Bure, ça veut dire qu'il n'y a plus la possibilité de faire la moindre bretelle d’autoroute, le moindre aménagement. » Et il en faut, des bretelles d’autoroutes, pour faire rouler des Renault.
« Macron en a pris l'engagement, rappelle l’éditorialiste. Cazeneuve a dit dans son livre que c'était impossible parce qu'on ne pouvait pas avoir en même temps l'opération Sentinelle, les interventions au Mali, etc. » « Bernard Cazeneuve estime qu'il faut un tiers des forces mobiles du pays pour intervenir, confirme Caroline Roux sur France 5. Ça paraît énorme. » Il faudrait peut-être faire appel à l’Otan.
Sur LCI, David Pujadas reçoit un expert des plus objectifs. « Il y a un autre aspect, Jean-Marc Ayrault, c’est l’occupation de la ZAD. Vous, Premier ministre, vous avez tenté de les déloger, c’était en 2012, et puis vous avez reculé. Alors comment exiger d'un gouvernement qu'il mène une action d'évacuation alors que vous-même avez choisi de reculer ? » « J'ai demandé à ce qu'on suspende cette intervention parce que tous les moyens nécessaires n'avaient pas été mis. » Les chars Leclerc, les Rafale et les hélicoptères de combat n’avaient pas été engagés.
Chaque chaîne ressort les apocalyptiques images de « l’opération César, la première tentative d'évacuation » et ses « scènes de guérilla » soldées par « de nombreux blessés et un échec »…
Chacune fait référence aux « affrontements du barrage de Sivens. Les forces de l'ordre s'étaient heurtées à des manifestants, rappelle France 2. L’un d'entre eux avait trouvé la mort ». Il avait surtout trouvé une grenade offensive lancée par un gendarme mobile… Mais cette précision n’est jamais mentionnée sur aucune chaîne. Sur France 2, Rémi Fraisse s’est « heurté » un peu trop durement aux forces de l’ordre, sur France 5 il semble avoir été victime d’un « syndrome » ou d’un « traumatisme » : « Le syndrome Rémi Fraisse est omniprésent », « le traumatisme de l’évacuation de la ZAD de Sivens qui avait coûté la vie à Rémi Fraisse reste dans toutes les têtes ».
Des reportages montrent une « détermination sans faille chez tous les habitants de la ZAD » (France 2). « Les occupants ont tout prévu, y compris les renforts. En cas d'intervention, il y a des dizaines de milliers de personnes qui viendraient défendre la ZAD », rapporte BFMTV, montrant de dos un zadiste hérissé d’un sarcloir, d’une binette et d’une fourche. Le reportage de C dans l’air à Notre-Dame-des-Landes se termine par de terribles images de vitrines brisées à Nantes, « un saccage que les habitants n'ont toujours pas digéré ». « Quelle que soit la décision, confirme une habitante, moi je veux que la ZAD soit expulsée. »
Le reportage de BFMTV s’achève lui dans l’atelier d’un Camille. Ce zadiste a produit cinq tonnes de « farine de lutte », une redoutable munition qui, mélangée à des œufs hérissés de clous géants et projetée sur les forces de l’ordre au moyen de catapultes, pourrait causer des dizaines de morts.
Au fait, qui sont ces zadistes ? « C’est ce qu'on appelle des squatteurs dans un langage fleuri », révèle Yves dans un langage Calvi. Caroline Roux interroge : « De quoi vivent ces gens ? Qui font des enfants, hein, quinze enfants sont nés sur la ZAD. » Parce qu’en plus, ils se reproduisent ? « Installés depuis des années, beaucoup ont eu le temps de construire un monde à eux, un monde à part », explique TF1. Je suis sûr qu’ils n’ont même pas pleuré Johnny Hallyday. « Une véritable contre-société », selon l’historien Jean Garrigues sur France 5, composée par de « lointains héritiers de Cabet et de Fourier, ils vivent en communauté, ils produisent ». « Il y a plusieurs micro-sociétés : quelques agriculteurs, les idéologues, les excités… », détaille un autre invité dépourvu de toute idéologie, Arnaud Gossement, avocat spécialisé dans le droit de l’environnement. « Ils sont très amusants, juge Ghislaine Ottenheimer sur Canal+. Ils sont sympathiques, hein, il faut dire. Ils sont plein d’idéal, ils sont assez sympathiques quand on les voit comme ça individuellement, il sont assez amusants. » Très drôles, en fait. « Il ont dit : “Oui, on veut bien négocier, on pourrait peut-être juste louer un peu le terrain, on pourrait nous faire un prix.” Ah ah, ils sont assez amusants, hein ?! » Désopilants.
Folkloriques, renchérit Christophe Barbier. « On nous montre là [dans le reportage qui s’achève sur le terrible “saccage” nantais, ndlr] l’aspect sympathique et folklorique de quelques Robinson Crusoé qui vantent le retour à la terre et la vie en phalanstère. » Quelle bande de rigolos ! « Avec une contre-société qui n'a pas de modèle social : y a pas de cotisations maladie, y a pas de cotisations retraites… » ZAD et Gafa, même combat. « Donc comment assurer la vie de ces gens-là dans la pérennité ? » Ne vaudrait-il pas mieux abréger leurs inéluctables souffrances ?
« Tout ça est assez utopique et sympathique, résume Christophe Barbier. Mais si Emmanuel Macron disait “Notre-Dame-des-Landes, on le fait”, dans les quarante-huit heures, ils sont deux mille, ils sont trois mille. Et là vous voyez arriver les black blocs, qui ont déjà été très violents par exemple lors d’un sommet du G7 à Gênes. » Ils avaient même envoyé un kamikaze, Carlo Giulani, se jeter au-devant d’une balle tirée par un policier.
L’éditorialiste prévient qu’avec ces « professionnels de la contestation des pouvoirs, il y aura de la violence, et de la violence grave parce qu’en face il faut réussir à mobiliser une force policière apte quantitativement et qualitativement à dégager un terrain pareil ». Une force militaire serait plus appropriée. « On est plus proche d’un guérilla type Vietnam des pauvres que de la simple répression d’une manifestation. » Notre-Dame-des-Landes, un nouveau Vietnam ? « A un moment donné, il faut que la force légitime entre en action. » Qu’on les bombarde au napalm ! « Il faut refuser l'installation d'une contre-société utopique même si elle peut avoir des côtés sympathiques. » Et hilarants.
« Il y a des moments où il faut prendre des décisions dans la vie politique et faire respecter un certain nombre de choses, appuie Yves Calvi sur Canal+. Parce que sinon on rentre dans une société totalement chaotique. » C’est la chienlit hérissée d’anarchie. « Il y a quand même un affront à l’Etat français et à sa capacité de maintien de l'ordre qui est objectif. » Et même un affront à Yves Calvi, si j’en juge pas sa ferveur répressive. « On parle pas de tous les riverains qui ne peuvent pas rentrer dans leur propriété, qui sont inquiétés, ennuyés », se désole-t-il.
Arnaud Gossement, l’avocat spécialiste du droit de l’environnement, préconise sur le plateau de C dans l’air de « négocier des rétrocessions de terres vers des nouveaux propriétaires terriens ». « Si certains veulent devenir des exploitants agricoles légaux, ayant une propriété qu'ils ont acheté et payant des impôts, très bien », convient Christophe Barbier.
« C’est ce qui s'est passé au Larzac, rappelle l’historien Jean Garrigues. Beaucoup d'anciens révoltés des années 70 sont devenus d’honnêtes agriculteurs. » « C’est la manière la plus intelligente de fragmenter une contre-société, assure Arnaud Gossement. Vous réintroduisez de la propriété avec de nouveaux agriculteurs qui en général y sont attachés… » Je comprends mieux pourquoi les zadistes paraissent à la fois si risibles et dangereux aux yeux des experts : ils menacent le droit le plus sacré de notre Etat de droit, la propriété privée.
Après trois quarts d’heure de débat, Caroline Roux propose : « Un mot quand même sur l’écologie, l’environnement… » Ah non ! Ce n’est pas le moment ! Alors que la République est en danger, menacée par la sécession du Vietnam des pauvres ? Christophe Barbier recommande d’abandonner le projet de Notre-Dame-des-Landes. Non pour des raisons écologiques, puisque ce n’est pas le sujet, mais pour « délégitimer les occupants de la ZAD ». Il rejette aussi l’extension de l’aéroport actuel et prône « une troisième solution pour sortir de cette situation par le haut » : la construction d’un nouvel aéroport dans un troisième lieu. Pourquoi pas à Bure ? Les déchets nucléaires étant enfouis en profondeur, rien n’empêche de faire atterrir des avions en surface. Et puis il y a là-bas une ZAD toute prête à être évacuée.
« Je ne peux pas vous dire la décision que prendra le président, prévient Christophe Jakubuszyn sur TF1. Mais les deux médiateurs aujourd'hui ont quand même souligné que le projet le plus écologique n'est pas forcément celui que l'on croit. » Comment ça ? Tous les commentateurs s'accordent pour dire que le rapport réhabilite l’hypothèse d'une extension de l’aéroport actuel… « Pour le dire plus clairement, agrandir l'aéroport existant a plus de conséquences négatives sur l’environnement qu’en construire un nouveau. » Ah bon ? L’éditorialiste de TF1 est bien le seul à faire cette interprétation du rapport ! Faut-il y voir l’expression d’une solidarité en béton entre Vinci, promoteur de Notre-Dame-des-Landes, et Bouygues, propriétaire de la chaîne ?
« On va écouter aussi cette déclaration d'Emmanuel Macron, propose Christophe Jakubyszyn. C’était le 3 février, en pleine campagne électorale. » Extrait du candidat Macron : « Il y a un referendum qui a été fait, le peuple s’est exprimé, je suis pour respecter cette décision. » « Il faut respecter cette décision, répète l’éditorialiste. Je ne sais pas si ça augure de la future décision du président. Mais vous savez qu’Emmanuel Macron aime bien qu’on dise de lui que c’est un président qui fait ce que le candidat a dit. » S’il veut que TF1 le dise, il sait ce qui lui reste à faire.
« Les Français en ont un peu marre des synthèses, ils veulent une direction, renchérit Ghislaine Ottenheimer, qui connaît très bien les Français. Emmanuel Macron a été élu pour ça, parce qu'il est capable de transgression, il est capable de prendre des risques, de prendre des décisions. » Et apparemment, il va prendre le risque de construire l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes puisque l’invitée d’Yves Calvi enchaîne directement sur « le point à soulever : c’est la protection du chantier. Ça, c’est vraiment un gros souci parce que même si les zadistes sont expulsés, ils peuvent revenir ». Et bombarder les pelleteuses avec des sagaies hérissées de boules de billard.
-De la mortelle poursuite à la commission d'un nouveau Crime de sang policier. :
Témoignages sur la façon dont l'état à une responsabilité dans l'accident du au Train Express Régional (TER) sur la ligne Lille-Calais-Dunkerque au niveau de la cité Saint-Maurice:
"Justice pour Selom et Mathis.
Ce qu’il s’est passé vendredi 15 décembre à la cité Saint-Maurice à Fives.
Il y a des textes qu’on aimerait ne pas devoir écrire. Vendredi 15 décembre vers 21 heures, quatre jeunes ont été happés par un Train Express Régional (TER) sur la ligne Lille-Calais-Dunkerque au niveau de la cité Saint-Maurice, à la frontière des quartiers de Fives et de Saint-Maurice Pellevoisin. Deux d’entre eux sont morts. Malgré le choc et les blessures, les deux rescapés témoignent. Et démentent dignement la version de la police et de la presse locale. Lundi dernier, à 20h45, une centaine de personnes se rassemblent sur la place Degeyter à Fives pour rendre hommage à Selom et Mathis, morts pendant le week-end. Quelques heures plus tôt, le procureur de la République explique que la version d’une course poursuite avec la police n’est qu’une « rumeur » et que les quatre jeunes auraient voulu prendre un « raccourci » le long des lignes SNCF... Les médias – La Voix du Nord en tête – se contentent de relayer cette version. Affaire classée. Un accident, vraiment ? Pour Ashraf et Aurélien, les deux rescapés que nous avons rencontrés, il ne s’agit pourtant pas d’un accident. Leurs témoignages se recoupent alors qu’ils n’avaient pas encore eu l’occasion de se parler. Ashraf, dans une chambre de l’hôpital Roger Salengro où il est encore en observation pour quelques jours, revient sur les faits : « C’est allé hyper vite, entre trois et cinq minutes. On était assis dans la cité, ils sont entrés à six en uniformes avec leurs matraques. Ils ont couru vers nous, ils voulaient nous attraper. On a eu peur et on est partis en courant ». « Ils », ce sont les nouvelles unités de la police nationales déployées en grand nombre dans le quartier depuis septembre, tout particulièrement autour de la cité Saint-Maurice qui concentre des problèmes de délinquance. Le résultat ? Un net regain de tensions entre jeunes et forces de l’ordre. « Depuis deux-trois semaines, c’est vraiment tendu dans le quartier. » « On ne voulait pas se faire éclater encore une fois » Pourquoi ont-ils eu peur ? « C’est ceux qui nous frappent tout le temps, pour rien, explique Aurélien, blessé au bassin et au visage et obligé de se déplacer en fauteuil roulant. Encore hier, ils ont frappé quelqu’un. On ne voulait pas se faire éclater encore une fois . Tu sais combien de fois je me suis fait frappé ? Tu sais comment ils m’appellent ? Par mon nom de famille. Ils nous connaissent très bien et c’est toujours la même histoire. La nationale, ils te lâchent seulement quand tu cries et tu pleures... » Arrivés sur la voie ferrée, les jeunes ont à peine eu le temps de comprendre. « On a entendu un gros coup klaxon , raconte Ashraf. J’ai volé et je suis retombé plus loin. J’ai vu que les deux autres étaient tombés. Les secours me mettaient des claques pour pas que je m’endorme et m’obligeaient à regarder vers les buissons pour ne pas voir mes potes. Et après je me suis évanoui. Ça a été très violent : quand je me suis réveillé ici [à l’hôpital] , je courrais encore, dans ma tête, j’étais encore dans la poursuite. » Si Ashraf perd rapidement connaissance, Aurélien se souvient : « C’est un passager du train qui est venu faire les premiers secours et ensuite les contrôleurs et la sécu [la sûreté générale, la police de la SNCF] sont arrivés. » Contrairement à ce qui est dit dans la presse, le groupe de « CRS » arrivé sur place n’intervient pas suite au drame mais semble être celui qui a entrainé toute cette histoire. Les flics qui les poursuivaient ont-ils pu savoir ce qu’il leur est arrivé par la suite ? « Quand on a sauté vers les rails, ils étaient à cinq mètres derrière nous », explique Ashraf. Pour Aurélien, c’est sûr, « ils ont vu le train passer deux secondes après nous. Ils nous ont coursés jusqu’au bout. » Concernant la thèse du raccourci relayé dans la presse : « On va pas prendre un raccourci pour aller sur les rails ! s’exclame Ashraf. Un raccourci pour aller où ? » Intox On se pose donc la question : d’où vient cette version des faits ? Peut-être a-t-elle été recueillie lors d’interrogatoires réalisés le soir même, sur le lieu de l’accident (avec Aurélien) ou à l’hôpital (avec Ashraf), ce dernier ayant dû signer des documents pré-remplis et sans les lire. Au-delà du fait de témoigner contre la police auprès de la police, on imagine aussi ce que signifie ce genre de témoignage lorsqu’on vient de connaître un traumatisme aussi important. « C’est que hier [lundi 18 décembre] que j’ai vraiment réalisé ce qui s’est passé », explique Ashraf. On comprend mieux ce qui a entraîne les feux de voitures de ce week-end à Fives. Et pourquoi les versions officielles de la justice, de la police et de la presse ont toujours autant de mal à passer aujourd’hui. L’affaire n’est donc pas classée. C’est tout un quartier qui réclame vérité et justice pour Selom et Mathis.
Le C.R.I.M.E. Lille Le 20 décembre 2017
Ce qu’il s’est passé vendredi 15 décembre à la cité Saint-Maurice à Fives"
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Alors que partout dans le monde, des mouvements sociaux et populaires dénoncent les brutalités policières et la militarisation de la police, Mouvements consacre le dossier de ce numéro à cette question. En France, les mobilisations contre les violences policières sont de plus en plus visibles et audibles, sous l’impulsion notamment des collectifs comme « Stop contrôle au faciès » et « Urgence, notre police assassine ». Les cortèges des manifestations du printemps 2016 contre la Loi travail scandaient régulièrement « Tout le monde déteste la police ! ». Dans les favelas de Rio au Brésil, des femmes se mobilisent contre les interventions des unités de « pacification ». À Montréal, des anarchistes et leurs allié.e.s ou complices descendent dans la rue tous les 15 mars, pour la Journée internationale contre la brutalité policière. Aux États-Unis, Black Lives Matters et d’autres initiatives se mobilisent contre les crimes policiers inscrits dans des pratiques croisées de profilage racial, mais aussi social et même sexuel, comme l’a très bien écrit Andrea Ritchie, militante antiraciste féministe et lesbienne, auteure de Invisible No More : Police Violence Against Black Women and Women of Color, et dont l’entretien ouvre ce dossier.
Quel que soit le pays, la fréquence et la nature des interactions avec la police sont très contrastées selon le sexe, l’âge et la position sociale, le lieu de résidence, la couleur de la peau, la religion, l’orientation sexuelle et politique. Une part importante de la population considère la police comme légitime, assurant l’ordre et la sécurité : une enquête menée en France en 2016 par le Défenseur des Droits a, par exemple, montré que 82% des personnes interrogées « font confiance » à la police. La réalité des violences policières et leur caractère systémique restent largement ignorés, minorés, voire niés par les catégories de population qui n’y sont pas confrontées. Pour les autres, précaires, racisé.e.s, sans-papiers, travailleur.se.s du sexe, militant.e.s, la police est moins une force de sécurité qu’une cause d’insécurité, source de harcèlement et de discriminations, quand elle n’est pas une menace encore plus grave associée à de graves abus, à l’emprisonnement arbitraire, au viol et à la mort.
Comment analyser les exactions policières ? Assurément, questionner la police et sa légitimité est une opération délicate, y compris du côté des forces progressistes. Pour certains, les exactions policières constituent une dérive institutionnelle influencée par des dynamiques sociales délétères, comme les relations raciales ou les risques d’attentats aux États-Unis et en France, la guerre contre la drogue au Brésil notamment. Ces dérives étant aggravées par la militarisation des forces policières et, dans plusieurs pays, par l’instauration de « l’état d’urgence » qui apparait de moins en moins comme une mesure d’exception.
En France par exemple, ces dernières années, la gauche de gouvernement est d’abord restée tétanisée par la crainte d’être taxée d’angélisme d’une part et par celle des réactions des syndicats policiers d’autre part, avant de se couler dans le moule liberticide mis en place sous le mandat précédent, incapable de se saisir des travaux scientifiques et de répondre aux mobilisations sociales qui donnent à voir et dénoncent le caractère structurel des violences policières. Pour la plupart, les revendications politiques progressistes se prônent à un meilleur encadrement déontologique de la répression étatique. Dans certains pays, sous la pression des mobilisations sociales, des Commissions de déontologie ou les Comités de discipline se sont renforcées, les syndicats de police ont travaillé sur le sujet, les plaintes déposées par les collectifs, Ligues de droits de l’Homme et des libertés, ont permis de renforcer la jurisprudence.
Mais pour d’autres, l’expression « brutalité policière » est un pléonasme, la police étant par essence une institution dont la brutalité est légitimée par le principe du monopole étatique de la violence. Certains mouvements sociaux d’ailleurs, comme les anarchistes de la Côte Ouest des États-Unis, débattent pour savoir s’il faut lutter contre la brutalité policière ou contre la police en soi, ce qui ne les empêchent pas de se retrouver côte-à-côte dans la rue, face à la police. La méfiance envers la police peut être à ce point profonde que des mouvements non seulement refusent de collaborer avec les autorités, mais proposent même de prendre en main les questions de sécurité sans avoir recours aux autorités officielles, par refus de collaborer avec la police ou par crainte de sa violence. Cette mise à distance de la police pour assurer la sécurité est redoublée par le développement de formes de justice autonome articulée au droit commun. Ainsi, les autochtones des Premières nations en Amérique du Nord et les féministes radicales attirent tout particulièrement l’attention, avec leurs processus de justice réparatrice ou transformatrice et leurs pratiques d’autodéfense, en particulier en réaction à des violences sexuelles.
Au delà de la réflexion sur les manières de contrôler la police, le dossier propose aussi de réfléchir à ce que signifie le maintien de l’ordre sans les institutions policières de l’état. Les mouvements sociaux questionnent, proposent et expérimentent en dehors des institutions et des canaux officiels des formes de police qui peuvent alors être observées dans des contextes bien différents, et relevant de logiques parfois contradictoires.
Le refus de faire appel à la police n’est pas nécessairement l’expression d’une naïveté face à la violence : dans certains cas, des processus alternatifs de maintien de l’ordre ne répugnent pas à recourir à la violence, par exemple lorsque des services d’ordre ou encore des « paciflics » cherchent à neutraliser physiquement des « casseurs » dans des manifestations, lorsque des féministes chahutent en manifestation des camarades qui scandent des slogans machistes ou qu’elles se confrontent physiquement à un agresseur sexuel (en accord avec la survivante), lorsque des mouvements de libération nationale ou des gangs décident d’imposer leur code de conduite et de mettre en place leur propre tribunal. Si plusieurs de ces expériences sont discrètes et ponctuelles, d’autres s’inscrivent dans la durée et l’espace, comme les manœuvres d’anarchistes à Athènes pour limiter l’accès de la police à leur quartier à la police, les actions d’unités de protection de la Place Tahrir qui allaient porter secours à des femmes agressées sexuellement pendant le Printemps arabe, ou encore ces villages mexicains qui se dotent d’une Police communautaire pour pallier aux manquements graves de la police d’État.
Il importe donc de s’intéresser aux mobilisations spontanées ou organisées, revendicatrices ou non, qui offrent autant d’exemples et d’expériences ouvrant des perspectives politiques et sociales potentiellement radicales, d’autant plus originales qu’elles s’inscrivent hors des institutions officielles.
La première partie de ce numéro « Qui nous protège de la police ? », revient sur les mouvements sociaux qui se mobilisent contre la brutalité policière, voire contre la police elle-même, adoptant une grande variété d’actions individuelles et collectives publiques ou clandestines, que ce soit de la résistance, de la contestation et de la confrontation. L’expression de la colère ou la révélation de l’injustice ne sont pas les seuls moteurs ni les seuls buts des confrontations avec la police. Ces mouvements incarnent dans leurs modes opératoires et dans leurs stratégies une diversité d’objectifs et de valeurs qui éclairent leurs perspectives de transformation sociale, sans toujours éviter les possibles lignes de tension et de fracture dans les réseaux militants.
La deuxième partie « Qui nous protège sans la police ? Savoir-faire féministes » rend compte de l’expérience spécifique développée depuis des décennies par les mouvements de lutte contre les violences faites aux femmes. Ces expériences sont inspirantes à la fois pour les savoir-faire qu’elles ont élaborés et pour les retours d’expérience qui mettent à jour les difficultés inhérentes à ces formes d’auto-organisation.
La troisième partie « Qui nous protège sans la police ? Alternatives communautaires », interroge plusieurs expériences de prise en charge des conflits et des violences dans des quartiers populaires, des organisations criminelles et des communautés paysannes et indigènes. Ces expériences indiquent une possibilité de s’émanciper de la sécurité d’état, généralement présentée comme nécessaire, voire indispensable et inévitable. Enfin, ces expériences prouvent qu’il n’est pas ici question d’idéalisme naïf, puisque les processus alternatifs de sécurité et de justice n’aboutissent pas toujours à des résultats réellement satisfaisants en termes psychologiques, mais aussi politiques.
Ces expériences de remise en question du monopole de la violence légitime de l’état à la fois à travers la lutte contre le fonctionnement des institutions policières et l’invention de nouvelles formes de contrôle de la paix sociale sans la police ouvrent un vaste horizon d’interrogations sur la mise en œuvre des principes de sécurité et de justice et sur leur conséquences en matière d’autonomie individuelle et collective, de responsabilité face aux autres et de solidarité. Avec ce dossier, nous espérons donner à voir que les mouvements sociaux sont des incubateurs de projets politiques et d’utopies concrètes."