Nuit debout, la non-violence jusqu'au bout
- 15 avr. 2016
- Par Benjamin Sourice
- Blog : Le blog de Benjamin Sourice
Alors que des échauffourées ont opposé manifestants et forces de l'ordre à Paris dans la nuit du 14 avril, le mouvement Nuit debout est ciblé pour sa responsabilité dans ces événements violents et se pose la question de son positionnement vis-à-vis des actions qui interviennent en dehors de son cadre.
La Nuit debout est elle « bousculée par la violence » comme le titrait ce jour Reporterre, journal en ligne écolo ? Dans un traitement très « fait divers », l'article reproduit le communiqué de la préfecture listant les dégradations importantes ayant eu lieu dans la nuit du 14 Avril dans le 19e arrondissement de Paris. A l'inverse, n'y est citée aucune déclaration du pôle presse de la Nuit debout qui semble bien embarrassé par ces débordements incontrôlables.
Mardi 12 avril, un communiqué du mouvement tempérait timidement de précédents incidents qui avait eu lieu le 9 avril à Paris (une autolib brûlée) : « Nous réaffirmons que la société que nous voulons se construit sur notre place de la République pacifiquement et dans le respect des un.e.s et des autres. Nous ouvrons un espace pour des idées qui sont continuellement étouffées par ailleurs : comment alors s'étonner que la colère légitime de certain.e.s s'exprime d'une façon différente ? Le mouvement n'est pas responsable des initiatives personnelles ».
A l'inverse, les organisateurs des Nuits debout parisiennes prennent depuis le début leurs responsabilités sur la gestion de la place occupée. Une commission « Accueil et Sérénité » d'une cinquantaine de personnes s'assure quotidiennement, et jusqu'à tard dans la nuit, du respect des consignes de sécurité, notamment la non vente d'alcool, et du bon déroulement des débats. Un membre de la commission rappelle ainsi que « notre mandat est de protéger les rassemblements Nuit Debout, et non de faire de la gestion de l'ordre public en dehors de l'espace que nous occupons. »
Certains participants aux Nuit debout prônent un principe de « non désolidarisation » avec quelque forme de lutte ce que soit, mais ceux-là ne semblent pas avoir eu l'occasion de discuter avec la minorité responsable des débordements. Ainsi, appelés à revenir au calme et à ne pas allumer de feu la nuit du samedi 9 avril, une centaine de manifestants et fêtards ont ouvertement menacé les membres de l'organisation Nuit debout qui tentaient de s'interposer. Ils leur ont par ailleurs pleinement exprimé leur absence de solidarité avec le mouvement : « une semaine que vous causez et vous n'avez rien fait » ; « vous n'êtes qu'une bande de bisounours » ; « on vous emmerde, vous ne pouvez rien nous faire ». Pourquoi dès lors vouloir maintenir une solidarité à tout crin avec ceux qui n'en manifestent aucune pour le mouvement ?
La violence mérite-t-elle un débat démocratique ?
La question de la violence et de sa dénonciation est débattue assez vertement au sein du mouvement oscillant entre la « désolidarisation avec les connards » et le fantasme révolutionnaire visant à revendiquer le moindre acte de vandalisme comme s'inscrivant dans la « lutte » pour les plus immatures. A ce titre, un participant acerbe remarquait en AG : « Je ne ferais pas confiance à un dentiste bourré pour me soigner les dents, il en va de même lorsqu'il s'agit de révolution. Pourquoi devrais-je suivre un pseudo-révolutionnaire éméché qui pense que répandre des ordures sur la voie publique à 4H du mat' et allumer un feu de palette mettra fin au système capitaliste ? » Tout acte de vandalisme n'a pas à être récupéré et justifié a-posteriori dans une logique « révolutionnaire », ce n'est parfois que de la casse gratuite et apolitique, un défouloir contre une bonne montée d'adrénaline. Disons le, ces casseurs récréatifs boivent, et c'est la Nuit debout qui a la gueule de bois.
Pour David Graeber qui intervenait au côté de Frédéric Lordon à la Bourse du travail ce 12 avril : « La question de la violence revient toujours. Le mieux est de se poser la question non pas en des termes moraux, mais en des termes organisationnels. Quel niveau de violence tolère-t-on dans un mouvement de démocratie directe ? » Ajoutant que cela doit être débattu et décidé collectivement avec pour échelle de graduation des actes allant de la non-violence à la Gandhi au soulèvement populaire. A ce jour, la question de la violence n'a fait l'objet d'aucun vote de la part de l'Assemblée populaire de Nuit debout, de même qu'aucun appel à la violence n'a jamais été lancé par les participants de Nuit debout, ce qui devrait de fait la rendre illégitime aux yeux de tous.
Quelque soit la décision qui sera prise, et souhaitons le rapidement, la violence ambiante n'attend pas pour s'inviter à la place de la République. Ce jeudi 14 avril, des participants aux manifestations lycéennes de l'après-midi ont été repoussés par les forces de l'ordre jusque sur la place qui a été entièrement gazée, dispersant les commissions Nuit debout au travail, et atteignant également les riverains et les consommateurs aux terrasses. Il est à noter également que si Nuit debout Paris a dû faire face à deux reprises à des débordements intervenus en marge de la place, à chaque fois, cela s'est produit les nuits où les échanges avaient déjà été violents entre manifestants et CRS dans la journée.
« Manif sauvage » : allier spontanéité et responsabilité
Quant aux « manifestations sauvages » qui partent de République, elles sont un élément intrinsèque des Nuits debout, elles sont le facteur imprévisible, elles sont une expression agissante du mouvement, de sa capacité à fédérer et soutenir des luttes. Jusqu'à maintenant, elles ont plus eu à subir la violence qu'à la produire comme lors de l'opération « Apéro chez Valls ». Ces manifestations ont, pour la plupart, été lancées par la Commission Action, qui se réunit, discute et prépare en amont les interventions. Cependant, et comme ce fut le cas ce jeudi 14 avril avec un appel à marcher sur l'Elysée qui a dégénéré en échauffourée, des personnes se sont parfois emparées du micro pour haranguer et lancer des actions aussi imprévues que flottantes dans leur objectif, en dehors de tout cadre démocratique ou consensuel. Là encore, pour l'organisation des Nuits debout, leur responsabilité ne peut s'étendre à tout Paris, les bénévoles prenant déjà en charge la sécurité locale et les soins des personnes blessées ou gazées revenant de manifestation, même quand celle-ci étaient non-violentes.
En revanche, quel média s'est fait écho des actions régulières de soutien menées par les nuitdeboutistes ? Comme envers les migrants de Stalingrad pour éviter leur expulsion de nuit par des CRS et dont l'arrivée de 300 personnes a permis de maintenir la camp. Ou celle menée en début de semaine en soutien aux femmes de ménages du Campanil de Suresnes et celle, là encore victorieuse, menée ce 14 avril par l'association Droit au logement (DAL) et une vingtaine de nuitdeboutistes dans le quartier Youri-Gagarine à Romainville (de l'autre côté du périphérique oui !). Cette action visait à venir appuyer une association de locataires du quartier pour faire pression sur l'office HLM qui n'entretenait plus leur immeuble. Bilan de l'action : la promesse que la réparation de l'eau chaude serait faite dès vendredi et qu'une partie des charges payées « en vain » (pour les jours sans chauffage/eau chaude/ascenseur) serait remboursée lors de la régularisation annuelle des charges.
Enfin pour terminer, la Nuit debout est un mouvement qui s'est étendu depuis une semaine à l'ensemble de la France et au-delà des frontières. Aucune violence localisée, même dans la « capitale » que les médias en continu confondent avec le centre du monde, ne saurait entacher un mouvement d'une telle ampleur. La Nuit debout est devenue un étendard pour ceux qui souhaitent libérer l'espace public de la censure politique et des discriminations en ouvrant des espaces de dialogue, de rencontre et de construction d'un projet alternatif émancipateur et fondamentalement non-violent. Les Nuits debout sont nées dans une époque où la violence (sociale, étatique, terroriste) est devenue si oppressante qu'une partie de la population s'est mise debout pour ne plus la subir et non pour la reproduire.