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21 septembre 2018 5 21 /09 /septembre /2018 05:43
“Si la déclaration d’Emmanuel Macron, au sujet de l’arrestation, de la torture et de la disparition de Maurice Audin, est un immense pas pour la famille, et pour toutes celles et tous ceux qui, depuis cet événement, se sont mobilisés pour que le crime perpétré ce jour-là soit enfin reconnu par les plus hautes autorités de l’Etat, beaucoup d’autres devront être effectués pour que l’ensemble des crimes coloniaux soient qualifiés comme ils devraient l’être. Sur ce point, le président de la République et ses conseillers demeurent très en-deçà de ce qui aurait dû être déclaré. En effet, si E. Macron avait estimé, lors d’un déplacement à Alger en tant que candidat à l’élection présidentielle, que la “colonisation avait été un crime contre l’humanité”, il s’est bien gardé de réitérer ses propos à cette occasion alors que les faits visés ressortissent bien à ce type de qualification. Rappelons donc au chef de l’Etat, l’article 212-1 du Code pénal français: sont considérés comme des crimes contre l’humanité , “la déportation (...) ou la pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, d’enlèvements de personnes suivis de leur disparition, la torture ou d’actes inhumains inspirés par des motifs politiques (...) organisés en vertu d’un plan concerté à l’encontre d’une population civile.” Pour ménager les militaires, la droite et l’extrême-droite, et sans doute aussi, une partie de son électorat, peut-être aussi pour éviter des procédures judiciaires, cette qualification n’a donc pas été employée alors qu’elle est parfaitement adéquate aux pratiques de l’armée française pendant la guerre d’Algérie et aux crimes commis antérieurement à partir du 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, puis en Indochine, à Madagascar en 1947 et le 17 octobre 1961 à Paris. De ce point de vue, la déclaration du chef de l’Etat ne saurait satisfaire celles et ceux qui exigent, parfois depuis des décennies, que ces massacres soient reconnus par les plus hautes autorités de l’Etat.
Relativement à l’ouverture des archives, les propos d’E. Macron sont susceptibles d’interprétations diverses et l’avenir nous dira ce qu’il en est. En effet, il est écrit qu’une “dérogation générale (...) ouvrira à  libre consultation tous les fonds d’archives de l’Etat qui concernent ce sujet.” Soit cela porte uniquement sur l’affaire Audin, et c’est alors singulièrement restrictif, soit cela concerne l’ensemble de la guerre d’Algérie, et la mesure est autrement plus importante. Reste que cet accès demeure le fait du prince. Qu’en est-il des archives relatives aux événements précités auxquels il faut ajouter le massacres de Thiaroye du 1er décembre 1944 et la guerre trop longtemps oubliée conduite au Cameroun entre 1955 et 1971? Rappelons qu’en ce domaine, et comparativement à d’autres pays comme les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, la législation française sur l’accès aux archives est une des plus restrictives et que beaucoup, par le passé, se sont vus refuser l’accès à certaines archives. Je pense en particulier au regretté Jean-Luc Einaudi sur les massacres du 17 octobre 1961.
Dans moins d’un mois maintenant, le collectif pour la reconnaissance de ces derniers massacres se réunira, comme tous les ans, sur le Pont Saint-Michel pour exiger la reconnaissance de ce crime comme crime d’Etat et l’ouverture de toutes les archives. Le président de la République laisse croire qu’il est disposé à solder les comptes du passé criminel de la France en Algérie; qu’il le prouve en faisant enfin une déclaration précise et circonstanciée sur ce qui s’est déroulé à Paris et en banlieue parisienne où les arrestations arbitraires, la torture et les disparitions forcées ont également été employées par des policiers et des harkis agissant sous les ordres du préfet de police de l’époque, Maurice Papon.”
 
O. Le Cour Grandmaison, universitaire, dernier ouvrage paru “L’Empire des hygiénistes. Vivre aux colonies”, Fayard, 2014.

 

 Mitterrand ,Le Pen Massu, Aussaresses et Papon ! Avec tous les autres,...  ,il y a également  ces 1000autres.org ,et son site formidable.

Seulement l'un des   hic  frappants  dans la liste  des animateurs du site , malgré cette louable initiative d'ouverture,reste  la présence arbitrale gênante de l'historien attitré et  nombrilo-addict de la LDH .En effet a quel moment Gilles Manceron et ses pairs droits de l'hommistes reconnaitront-ils que  le plagiat est indélicat et malhonnête,que  l'accaparement d'autres  travaux que les siens ,comme ceux d' universitaires  spécialisés dans  le domaine  des massacres coloniaux , Thiaroye en 1944 *,(et sur la question), est pour le moins ,une appropriation soumise à condition de politesse ?Comme Gilles Manceron  à rédigé "en primeur"au nom de la ligue nationale ,sur le massacre de Thiaroye - Ligue des droits de l'Homme sans  autorisation de  l'auteure principale de ces révélations  il faudrait faire amende véritable : 

*"Le 1er décembre 1944, des dizaines de soldats africains appelés « tirailleurs » sont exécutés par l’armée française dans le camp de Thiaroye, au Sénégal. Ces hommes, qui ont combattu pour la France lors de la guerre et anciens prisonniers des nazis, réclamaient le paiement de leur solde. Selon la version officielle, la répression fait suite à une mutinerie. Une thèse réfutée par l’historienne Armelle Mabon, maître de conférences à l’Université Bretagne Sud. Elle dénonce un mensonge d’État et un crime de masse prémédité. Invitée du « Monde Afrique », elle revient sur ce massacre camouflé pendant plus de soixante-dix ans. "

Si là encore avec le mouvement lancé sur les disparus lors  des "événements ", ce type manceronise , droits-de-l'hommise,illégitimise  une recherche mémorielle en dys-historisant un processus  tout à fait intéressant .En se mettant  une nouvelle fois sur un Piédestal comme l'arbitre des élégances méthodologiques , Gilles Manceron voudrait  probablement   se tailler   la part du lion associatif sous le  "haut patronage ",(et pour le compte salaud-boratif)de la  LDH . Comment alors ,s'il vous plait monsieur Gilles Manceron  ,se réclamer du blanc seing de la justice historique ainsi que d'une relecture sincère de la vérité  des faits de massacres ,tout  en maintenant  votre  posture inepte (Syndrome d'Aznavour) , votre  récupération indélicate et   vos accrocs déontologiques incontestables pour  accéder  tout en haut de l'affiche ?

Comment ensuite sortir du point noir de ce conditionnement?Il est rédhibitoire par  tant  d'ingérence et de permanence névrotique du droit-de-l'hommisme que Manceron et ses défenseurs  représentent ,et  est le plus souvent,spoliateur de l'accès au Droit ,à la mémoire militante ou la propagation  et la transmission du souvenir historique familial .

C'est tout art populaire que de dire l'histoire, que celle -ci n' a pas à etre  le roman de l’État,et tout en évitant sa confiscation par des spécieux spécialistes .

Il  revient  aux citoyens associatifs et aux historien honnêtes ,de dénoncer pour l' abroger,toute cooptation,méconduite,et le forçage lobbyiste entre escrocs mémoriels  .

Cet exercice de dégourdissement du cerveau serait l'une des étapes à franchir  afin d'envisager collectivement que la nation puisse,éventuellement, régler ses propres  ardoises posthumes  avec par exemple :un grand Charles   de Gaulle  ayant couvert notoirement  un préfet de police assassin  ,(et ami pourri de  Mitterrand).

Papon ,c'est un de ces officiels de la République   qui avec  d'autres ,n'a encore jamais été jugé pour les atrocités de Paris en 1961( Le massacre du 17 octobre 1961 à Paris : "ici on noie les Algériens ) bien que pour d'autres méfaits, Maurice Papon a été condamné à dix ans de réclusion criminelle

 Des gens pourraient trouver  nécessaire  de se réapproprier leur héritage ,pour faire de sorte que puisse se faire l'instruction judiciaire  de ces bavures et exactions  nationales et internationales (Rwanda) , et que l’État Français soit incriminé pour sa participation et/ou ,l'ordonnancement de ces  meurtres de masses  .

Les citoyens ne devraient  pas oublier  de demander l'inculpation de leurs propre chefs d’État même ceux qui sont disparus .Car aujourd'hui  c'est la question du rôle de Charles de Gaulle qui se pose dans  l'opération du  17 février 1961  qui va être commémorée .

Tout les responsables (morts ou vivants),de fait de massacres historiques  et des catastrophes humaines et environnementales doivent etre mis  face à leurs  leurs fautes .De 1966 à 1996 par exemple ,les atolls de Mururoa et Fangataufa ont été le théâtre de 193 essais nucléaires français .  Lors des essais atmosphériques pratiqués en Algérie alors Française, la pratique des expositions forcées aux  radiations  relève de la  traite humaine  .En effet  lors des  Essai nucléaire à Reggane : 150 prisonniers algériens utilisés comme cobayes humains on péri.

Ces expérimentations militaires qui  ont eu des effets sur la santé des populations polynésiennes ,comme algériennes,sur celle des soldats,et qui qui ont de surcroit contaminé l'environnement mérite l'attention de de la CPI.Aujourd'hui encore ,l’actualité  est nucléaire car  La Polynésie porte plainte contre l'État pour crimes contre l'humanité

Pour ce et qui des faits passés de criminels décédés,voici encore  :

 
Mercredi, 4 Décembre, 2013

Dans un livre paru en mai 2001, l'ancien coordinateur des services de renseignements à Alger en 1957, dont la mort a été annoncée ce mercredi, a reconnu avoir assassiné le dirigeant du FLN Larbi Ben M'Hidi et l'avocat Ali Boumendjel. Il dit avoir agi à la demande de Massu et des autorités gouvernementales de l'époque.

Nous republions le décryptage de Lucien Degoy, dans l'Humanité du 3 mai 2001.

" Une fois dans la pièce, avec l'aide de mes gradés, nous avons empoigné Ben M'Hidi et nous l'avons pendu, d'une manière qui puisse laisser penser à un suicide... " L'aveu tient en une phrase, courte, explicite, sans appel. On pourrait dire sobre s'il ne s'agissait d'évoquer la sordide mise à mort, ce soir du 4 mars 1957, dans le secret d'une ferme isolée au sud d'Alger, du premier responsable du FLN de l'époque. Un assassinat prémédité et organisé par des officiers de l'armée française. Le témoin du meurtre et son principal exécutant, celui qui parle quarante-quatre ans après, est le général de brigade Paul Aussaresses à l'époque commandant parachutiste, détaché à l'état-major de Massu. L'ouvrage qu'il signe, Services spéciaux, Algérie 1955-1957 - Mon témoignage sur la torture, ajoute l'éditeur-, rendu public, hier, fait déjà l'effet d'un brûlot.

Implications à haut niveau

Car à propos de cet épisode dramatique et de quelques autres de toute première importance, telle la mort de l'avocat Ali Boumendjel - autre grande figure nationaliste, dont on apprend qu'il a été lui aussi " suicidé " par les militaires - ou, encore, l'utilisation de la torture, le " nettoyage " par les commandos parachutistes de la sous-préfecture de Philippeville en juin 1955 (bien avant la bataille d'Alger), Aussaresses confirme ce que nombre d'historiens supputaient mais qu'aucun de ses complices de l'époque, et surtout ce qu'aucune autorité militaire ou civile n'a reconnu jusqu'ici: l'implication directe et personnelle de nombre de cadres et dirigeants de la République dans la torture, l'assassinat, l'exécution sommaire et leur complicité dans les mensonges officiels fabriqués pour dissimuler ces forfaits pendant des décennies aux yeux de l'opinion française.

À quatre-vingt-deux ans donc, Aussaresses parle. Ce n'est pas la première fois. On se souvient qu'après Massu, fin novembre dernier - alors que se développait la campagne des Douze avec l'Humanité, pour la reconnaissance de la responsabilité de la France dans la torture - il avait donné à Florence Beaugé du Monde, une interview dans laquelle il reconnaissait avoir lui-même pratiqué la torture et mis à mort 24 personnes. Cette fois, il précise et va plus loin. Donne des lieux, des dates, des noms et ceux d'autres témoins.

Aussaresses l'a pendu

Larbi Ben M'Hidi, c'est Aussaresses qui l'a pendu, a vérifié qu'il était mort, avant de faire porter le cadavre à l'hôpital. Boumendjel, c'est lui, Aussaresses, qui ordonne à l'un de ses lieutenants de le jeter dans le vide du haut d'un 6e étage. Il ne fallait surtout pas, explique-t-il, que ces combattants nationalistes soient jugés par un tribunal - dans les règles donc -, ce qui " aurait entraîné des répercussions internationales ", voire, dans le cas du " brillant avocat " algérien accusé par les militaires d'avoir commandité un assassinat, " lui aurait assuré l'impunité ".

La défenestration n'était-elle pas, aussi, le moyen de dissimuler les traces compromettantes de tortures? Aussaresses assure que son prisonnier y aurait échappé... Contrairement à Bigeard, il ne respecte pas ses adversaires, les qualifie au passage et suivant les cas de " petits truands ", " trafiquants " ou " proxénètes".

 

Audin livré au "docteur"

Il se montre un peu moins insultant à l'égard des Européens, membres du Parti communiste algérien, affirmant avoir été " naturellement prévenu " de l'arrestation de Maurice Audin par les hommes du 1er RCP puis de celle d'Henri Alleg, qu'il a " croisé " au moment de son arrestation. Il dit aussi avoir livré ces deux hommes au lieutenant Charbonnier - celui qu'on surnommait le " docteur " pour sa fascination du scalpel - afin qu'il les interroge. Dans ce livre, comme dans les deux heures d'émissions que consacre à Aussaresses Pierre-André Boutang, l'ancien " liquidateur " de la bataille d'Alger, chef de l'" escadron de la mort ", expression qu'il reprend à son compte, réaffirme ne rien savoir des circonstances de la disparition d'Audin - ce qui à l'évidence ne tient pas. D'autant moins, que le général donne beaucoup à voir et à comprendre sur sa tâche de " coordinateur " du sale boulot - entre autres à la villa des Tourelles où " il était rare que les prisonniers interrogés la nuit se trouvent encore vivants au petit matin " - ou comme éminence grise de Massu, superpréfet d'Alger, montrant par le détail comment il parvient à court-circuiter le fonctionnement normal des institutions démocratiques, juges, avocats et procureurs ou parlementaires en mission d'enquête.

3024 exécutions sommaires

C'est d'ailleurs ce pourquoi Massu avait, confirme-t-il, reçu les pleins pouvoirs du gouvernement Guy Mollet de l'époque : être efficace quels que soient les moyens employés. Si la torture n'était pas " banalisée " précise-t-il encore, " elle a été largement utilisée ". En s'accusant, Aussaresses prend bien soin de ne revendiquer de forfaits dont il ne puisse partager avec d'autres la responsabilité politique ou morale : les ordres précise-t-il toujours (et contrairement à ce qu'il avait affirmé en novembre au Monde) " venaient d'en haut ". Lacoste ministre résident était quotidiennement informé par le détail. Aussaresses affirme que les liquidations de personnalités furent réclamées par Massu, accuse le juge Bérard - correspondant direct à l'état-major du garde des Sceaux, François Mitterrand - de lui avoir demandé d'empoisonner Larbi Ben M'Hidi, confirme de nouveau, les 3 024 exécutions sommaires effectuées parmi les Algériens assignés à résidence et qu'en langage codé on appelait " évasions manquées".

Réseau Jeanson

Les seuls crimes monstrueux qu'il prenne pour lui tout seul n'ont pas dépassé le stade de l'intention: l'assassinat de Ben Bella qu'il se faisait fort d'éliminer dans la prison où il était secrètement maintenu en France, "dans un accident dû au gaz", ou la "neutralisation" d'une douzaine de sympathisants de la cause algérienne, membres du réseau Jeanson - il cite Olivier Todd, Hervé Bourges, Gisèle Halimi, qu'il "manque de peu d'intercepter" alors que l'avocate venait de rencontrer secrètement à Alger Suzanne, la femme du général Massu, laquelle se donnait, semble-t-il, un rôle modérateur.

Quel crédit accorder à ces allégations qu'on peut toujours mettre sur le compte de la gloriole militaire ou de la provocation politique d'un personnage qui, au fil des pages, règle des comptes avec d'anciens collègues ou complices dont il dit qu'ils " savent " mais auraient préféré qu'il se taise? Que vaut le témoignage d'un spécialiste du contre-espionnage, expert en coups tordus et fausses nouvelles, l'ancien para qui côtoyait au 1er RCP des légionnaires ayant fait leurs armes sous l'uniforme nazi?

Absence totale de regrets

Est-ce l'ancien adhérent des Jeunesses étudiantes chrétiennes, qui se livre à examen de conscience au soir de sa vie - mais alors comment défendre son absence totale de regrets ou de remords? Veut-il, lui le gaulliste de la première heure - ce qui lui valut, explique-t-il, de lourdes inimitiés dans une partie de la caste militaire qui complota contre la République - mettre les gouvernants d'aujourd'hui en demeure de réagir plus qu'ils ne l'ont fait, à des actes confirmant l'implication étroite du pouvoir politique de l'époque dans la sale guerre?

Sans doute, il y a un peu de tout cela. Mais peu importent, finalement, les motivations: le fait gravissime n'est-il pas que cet homme portait comme d'autres l'uniforme de la République, qu'il agissait au nom de la France : c'est cela qui, aujourd'hui, est insupportable.

  • A lire aussi:

Notre dossier: Mort de Paul Aussaresses, général tortionnaire pendant la guerre d'Algérie

 

À propos de : Catherine Lu, Justice and Reconciliation in World Politics, Cambridge Studies in International Relations, Cambridge


par Magali Bessone , le 27 septembre

Comment penser nos responsabilités face aux crimes du passé dont les conséquences continuent de peser sur les conditions d’existence des victimes ou de leurs descendants ? Un premier pas, pour la philosophe Catherine Lu, serait d’admettre et de théoriser les racines coloniales de l’ordre mondial.

 

En 1904, sur l’actuel territoire de la Namibie, les troupes coloniales allemandes, en réponse à un soulèvement de Hereros mené par Samuel Maharero contre les conditions du régime colonial allemand, s’engagent dans un programme d’extermination systématique contre les Hereros et les Namas : ce massacre, reconnu publiquement comme « un crime de guerre et un génocide » par le ministre des Affaires étrangères allemand en 2015, a donné lieu à un important travail d’histoire et de mémoire, mais également de demandes de justice. Ce cas, parmi d’autres liés à l’histoire et aux pratiques des guerres coloniales et du colonialisme notamment, pose des questions compliquées à la philosophie politique et éthique et aux théories des relations internationales qui se préoccupent de proposer des cadres normatifs pour la justice et la réconciliation à l’échelle mondiale. Avec quel cadre normatif penser les crimes du passé ? Comment évaluer et mesurer les responsabilités actuelles ? Comment identifier ces injustices du passé qui pèsent toujours sur la structure et l’organisation de l’ordre mondial et sur les relations interétatiques ou transnationales ? Quels principes de redistribution ou de rectification formuler pour redresser ces injustices ? Dans son livre récent, Catherine Lu offre un cadre théorique et normatif puissant, appuyé sur une analyse historique et historiographique précise, qui lui permet de souligner la dimension structurelle des injustices internationales et de promouvoir, à partir de leur diagnostic, des principes de transformation pour un ordre international juste.

Le cadre théorique : une matrice à quatre termes

Catherine Lu distingue analytiquement deux concepts majeurs des relations internationales, les concepts de justice et de réconciliation, puis analyse chacun d’eux selon deux dimensions différentes, interactionnelle et structurelle.

D’une part, il faut fermement distinguer sur le plan analytique justice et réconciliation ; mais si les deux concepts ne coïncident pas, ils sont en jeu dans des pratiques qui ne sont ni contradictoires ni opposées. Concevoir leur différence théorique permet précisément de saisir comment il est possible de viser un ordre international à la fois juste et réconcilié. Il est question de justice, dit Lu, lorsqu’on se préoccupe de redresser des torts ; il est question de réconciliation lorsque l’enjeu est de mettre fin à différents types « d’aliénation », que ce soit celles qui ont produit les torts et que les torts ont révélées, ou celles que les torts eux-mêmes ont produites. Faire justice et promouvoir la réconciliation à l’issue de conflits ou de crimes de masse sont deux objectifs différents et indispensables de l’ordre international. Identifier les concepts dans leur spécificité permet ainsi d’éviter deux erreurs symétriques : soit, dans une veine idéaliste, estimer que l’une se produira nécessairement lorsque l’autre sera accomplie (rendre justice étant censé entraîner de facto la réconciliation des parties opposées ou réconcilier les anciens ennemis satisfaire en soi les demandes de justice) ; soit, dans une veine réaliste, les considérer comme des objectifs mutuellement contradictoires, comme si le caractère procédural de la justice exigeait la rigidification durable des oppositions entre victimes et criminels ou si la réconciliation ne pouvait reposer que sur l’amnistie, le pardon ou l’oubli.

D’autre part, ces deux concepts doivent être analysés selon deux dimensions différentes : une dimension interactionnelle et une dimension structurelle.

La justice interactionnelle est celle qui règle les comptes entre des agents individuels ou collectifs (victimes et criminels [perpetrators]) à la suite de conduites dommageables ou préjudicielles, soit d’interactions injustes ayant entraîné des torts non mérités. L’objectif est de punir le criminel et de compenser la victime. La caractéristique principale de la justice interactionnelle est d’avoir une fonction de rectification « backward looking », tournée vers le passé : c’est le rôle traditionnel de la justice corrective, en particulier sous sa forme pénale.

La justice structurelle se préoccupe, elle, « des institutions, normes, pratiques et conditions matérielles qui ont joué un rôle causal ou conditionnel dans la production ou la reproduction des positions sociales, des conduites ou de leurs effets condamnables » (p. 19). Elle revêt à la fois une fonction backward looking et une fonction forward looking : rectifier les injustices structurelles consiste à la fois à corriger les torts qu’elles ont engendrés et à éliminer les effets durables que les structures injustes peuvent continuer à produire ou reproduire.

Lu précise ce qu’elle entend par injustices structurelles en différenciant ces dernières des injustices « structurées » qui peuvent être prises en charge par les procédures classiques de la justice interactionnelle. Les injustices structurées sont le fait d’agents individuels en tant que membres d’institutions qui, dans le cadre de systèmes politiques spécifiques, ont été impliquées dans des violences ou crimes de masse. Ce sont, par exemple, les individus à différents niveaux hiérarchiques d’un appareil militaire qui a pris part à une guerre de conquête durant laquelle des crimes de guerre ont été commis. À ce titre, les injustices structurées peuvent être traitées dans le cadre du droit international pénal, dans une perspective interindividuelle ou interétatique. Au contraire, les injustices structurelles n’impliquent pas immédiatement d’agent moral (individuel ou collectif) aisément identifiable et obligent donc à conceptualiser la question de la responsabilité des agents d’une manière qui n’est prise en charge ni par le droit pénal ni par le droit civil internationaux. En particulier, l’approche structurelle permet de répondre aux nombreuses difficultés auxquelles se heurtent la notion de responsabilité collective et celle de responsabilité contemporaine pour des actes du passé. Là où l’analyse interactionnelle achoppe sur l’attribution de responsabilité causale ou sur la nature de la relation entre passé et présent, l’approche structurelle que construit Lu à partir des travaux de Iris Marion Young [1] permet de fournir une réponse :

C’est parce que tous les agents contemporains subissent le poids de [are burdened by] l’injustice historique – sous la forme d’injustice structurelle – qu’ils ont des responsabilités. (p. 148)

Hériter des injustices historiques aujourd’hui, c’est continuer à vivre dans un monde où se reproduisent les schémas structurels de domination, d’exploitation, de marginalisation mis en place dans le passé de manière criminelle. Il relève donc de la responsabilité des agents contemporains (individus, États, structures internationales… à différents niveaux ou échelles de justice) de reconnaître et rectifier les institutions, discours et pratiques qui se sont historiquement développés de manière injuste et qui perdurent.

Analysée sous ce double aspect, la justice dans l’ordre international implique ainsi des devoirs de réparations pour les injustices interactionnelles et des devoirs de correction des injustices structurelles.

La réponse à ces dernières injustices est étroitement associée à la lutte politique pour la réconciliation comme réponse aux différents types d’aliénation sociale et politique qui ont entraîné les catastrophes politiques et crimes de masse ou qui en sont issues. La réconciliation s’analyse elle aussi d’abord en termes interactionnels et structurels : en tant qu’idéal régulateur, elle désigne à la fois la qualité morale des relations interpersonnelles entre agents et l’affirmation ou la reconnaissance mutuelle des agents quant à la pertinence et à la valeur des structures politiques et sociales qui organisent leurs interactions à l’échelle locale, nationale ou internationale (p. 19). Assurer la réconciliation structurelle est ainsi une exigence fondamentale, sur le plan normatif, pour promouvoir la réconciliation interactionnelle : c’est la première qui fournit la grille d’interprétation partagée des formes d’aliénation et permet que s’installe une communication « authentique » (genuine) entre groupes en conflit. Les relations historiques coloniales reconduites aujourd’hui entre États (anciens colonisés et colonisateurs) mais également, à l’intérieur des États dits postcoloniaux, entre certains groupes, produisent notamment une condition « d’indignité structurelle » (p. 184) pour certains des colonisés, empêchant ainsi que les conditions minimales d’un dialogue commun puissent être réalisées. C’est l’accord sur cette structure coloniale reconduite qui pourra permettre la réconciliation. En outre, le schéma d’analyse de la réconciliation est compliqué par l’introduction d’un troisième niveau d’analyse, indispensable pour appréhender l’ensemble de ses enjeux politiques — ce que Lu nomme la réconciliation existentielle, « la désaliénation des agents dont la liberté subjective a été déformée par l’injustice [coloniale] » (p. 20). Cette troisième forme vise tout particulièrement à remédier à l’auto-aliénation des agents qui accompagne les deux formes précédentes et qui est, comme l’a montré Frantz Fanon que cite Lu (par exemple p. 184, 204), l’un des effets les plus destructeurs du colonialisme.

L’ordre international comme ordre colonial

Cette matrice théorique déploie une double force, descriptive et normative : elle est mise au service d’un dévoilement des structures injustes de l’ordre international actuel, comme effet majeur des injustices issues du colonialisme ; et elle est mobilisée pour formuler les insuffisances des théorisations traditionnelles de la justice internationale, qui demeurent interactionnelles, et pour proposer des réorientations normatives et politiques appropriées.

Dans chacun des huit chapitres du livre, le cadre théorique éclaire une étude de cas où l’échec à produire de manière durable un ordre international juste prend un nouveau sens, qu’il s’agisse de traités de paix échouant à garantir un monde pacifié, d’institutions judiciaires dénoncées pour leur partialité, ou de relations de domination internationalement admises et légalement reconnues. La fragilité du traité de Versailles, la guerre entre le Vietnam du Nord et les États-Unis, les limites de la Cour Pénale Internationale, le colonialisme japonais en Corée, le colonialisme allemand en Namibie, les relations entre l’État canadien et les nations indiennes, ne s’interprètent ni comme des anomalies interactionnelles (l’effet ponctuel de la volonté de puissance d’un agent, d’une nation ou d’un État, s’exerçant sur un autre), ni comme le produit des interactions « naturelles » d’agents collectifs coexistant dans un état de nature anarchique et a-normé, auquel le droit international s’efforcerait de fournir des normes de justice et d’égalité transposées de l’ordre national. Lu montre que ces échecs doivent se comprendre comme les conséquences de l’aveuglement aux injustices coloniales qui traversent et organisent structurellement l’ordre international depuis plus de quatre siècles, et ce en dépit du rejet officiel, dans les années 1960, de la structure coloniale des relations internationales.

L’appareil théorique permet en effet de soutenir une thèse historique et substantielle importante, qui se construit au fil de l’analyse de ces cas et de leurs effets : l’ordre international contemporain est un ordre interétatique colonial reposant sur des injustices structurelles qu’on ne s’est jamais efforcé de rectifier, parce qu’on ne s’est même jamais efforcé de les théoriser comme telles.

La démonstration s’ouvre sur l’analyse brillante, menée dans le premier chapitre, des causes de l’échec du Traité de Versailles et de ses effets durables. L’échec spectaculaire de la politique de justice et de réconciliation à l’issue de la Première Guerre mondiale ne saurait simplement s’analyser dans les termes des théoriciens réalistes : selon eux, Versailles a assuré la paix au prix de la réconciliation, mais étant donnée la réalité des rapports de pouvoir interétatiques, ce choix était inévitable. L’échec ne saurait toutefois se comprendre non plus dans les termes des théoriciens libéraux qui y voient les prémisses d’un ordre international fondé sur les droits de l’homme mais entaché par les excès de la « justice des vainqueurs » empêchant l’Allemagne de se reconstruire après la défaite, et dont les défauts, correctement perçus, auraient ensuite été corrigés après la Seconde Guerre mondiale. L’échec majeur du traité de Versailles et de la Ligue des Nations a été en réalité de continuer à valider le colonialisme comme un marqueur fondamental de pouvoir – dont l’Allemagne, par ailleurs, était privée selon les termes imposés par le traité de paix – et de ne pas modifier la structure injuste du système international.

Cet échec a poursuivi et renforcé l’aliénation des groupes et peuples colonisés vis-à-vis de l’ordre interétatique établi et dominé par les pouvoirs occidentaux ; il a provoqué et façonné le cours des luttes politiques anticoloniales et anti-impérialistes qui ont occupé l’essentiel de la politique mondiale au XXe siècle et continuent d’infléchir les conflits politiques mondiaux contemporains au XXIe siècle. (p. 62)

L’aveuglement à ces injustices structurelles continuées a pesé sur les développements ultérieurs du droit international, qui s’est exclusivement préoccupé des injustices interactionnelles (interindividuelles et interétatiques), selon deux principes d’action : identifier les responsables des violations massives des droits de l’homme et réparer les victimes. Or comme le montrent les chapitres suivants, le cadre interactionnel est, quoique nécessaire, insuffisant pour identifier la nature réelle des injustices internationales et transnationales et pour conceptualiser les responsabilités qu’engendrent ces injustices (p. 23), y compris celles de l’ensemble de la communauté internationale. Il demeure incapable d’appréhender les injustices structurelles qui continuent de fournir le cadre normatif des aliénations contemporaines et qui proviennent de l’ordre mondial colonial reçu en héritage.

C’est pourquoi dans les deux derniers chapitres, Lu montre en quoi les politiques de réparations usuellement adoptées en droit international sont insuffisantes et, prolongeant les analyses d’Iris Young sur le type d’engagement qui doit être le nôtre une fois que l’on a admis la nature de notre responsabilité dans la perpétuation des injustices structurelles, propose trois types de stratégies pour réorienter la manière de promouvoir un ordre international juste. Il faut se préoccuper de décoloniser (les structures politiques, sociales et normatives de l’ordre international et transnational), de décentrer (la connaissance, les institutions et les pratiques de gouvernement) et de désaliéner (la capacité d’agir des opprimés). Ces stratégies doivent être menées à tous les niveaux d’institutions formelles et informelles et nous engager individuellement et collectivement. Lorsque nous avons pris la conscience critique de la nature de nos responsabilités, il est de notre devoir de les assumer – ou nous nous rendons coupables aujourd’hui de ne pas modifier les conditions de l’ordre colonial hérité du passé.

À propos de : Catherine Lu, Justice and Reconciliation in World Politics, Cambridge Studies in International Relations, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 2017, 309 p.

 

 

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