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29 avril 2017 6 29 /04 /avril /2017 02:13
Avril 2017

Catherine Jewell, Division des communications, OMPI, et Vijay Shankar Balakrishnan, journaliste spécialisé en sciences et en santé

Des millions de personnes souffrent de graves maladies génétiques comme le cancer, la dystrophie musculaire, la fibrose cystique, la drépanocytose, la maladie d’Huntington et bien d’autres.  Imaginez les douleurs et les souffrances qui pourraient être évitées (sans parler des coûts de santé) si nous pouvions guérir ces pathologies simplement en réécrivant le code génétique des patients. C’est ce que promet la technologie de modification du génome CRISPR-Cas9.
 

Annoncé comme la percée la plus prometteuse en matière de recherche biomédicale depuis l’avènement du génie génétique dans les années 70, l’outil de modification du génome CRISPR-Cas9 ouvre des horizons infinis pour nous aider à mieux comprendre les maladies humaines et animales et leur traitement.  Il a le potentiel de révolutionner la recherche médicale et agricole.  Dès lors, la course pour développer des applications commerciales de CRISPR-Cas9 dans les domaines de la santé, de l’agriculture et de l’industrie a plongé la technologie, ses pionniers, les institutions pour lesquelles ils travaillent et une poignée de jeunes entreprises auxquelles ils participent dans une bataille juridique aux enjeux colossaux pour savoir qui l’a effectivement inventée et quand.  L’issue de cette bataille déterminera qui sera le maître de la technologie et dans quelle escarcelle tomberont les bénéfices faramineux qu’elle devrait générer.
Genèse de la technologie

Depuis que Watson et Crick ont découvert la structure en double hélice de l’ADN, les scientifiques n’ont cessé de chercher des moyens de mieux comprendre le rôle que joue l’ADN dans le patrimoine génétique des organismes vivants.  L’outil CRISPR est un immense pas en avant dans cette direction.  Comparé aux outils de recherche existants, il offre un moyen relativement rapide, simple, fiable et bon marché de cibler et de modifier des séquences déterminées du génome.

Désigné sous le nom de CRISPR pour “Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats”, c’est-à-dire “courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées”, il s’agit d’un mécanisme de défense naturel qui permet aux cellules bactériennes de détecter et de détruire les virus qui les attaquent.

Jon Cohen écrit dans la revue Science que le mécanisme CRISPR a été reconnu pour la première fois comme “outil de modification du génome de portée générale” dans un article publié par les scientifiques Erik Sontheimer et Luciano Marrafinni de la Northwestern University, Evanston, Illinois (États-Unis d’Amérique) en 2008.  Les deux chercheurs ont déposé une demande de brevet qui a été rejetée au motif qu’ils n’avaient pas été en mesure de la réduire à une application pratique particulière.

Au demeurant, CRISPR a réellement commencé à faire parler de lui avec la publication, en juin 2012, d’un article scientifique écrit par Emmanuelle Charpentier, microbiologiste française travaillant à l’époque à l’Université de Vienne et aujourd’hui à l’Institut Max Planck de biologie infectieuse (Allemagne) et à l’Université Umeå (Suède), et Jennifer Doudna de l’Université de Californie Berkeley (États-Unis d’Amérique).  Leur article décrivait comment la technologie CRISPR, avec l’aide d’une enzyme appelée Cas9, peut devenir un outil de modification du génome.  Il y était plus précisément question de la façon dont CRISPR-Cas9 peut être utilisé pour couper l’ADN dans un tube à essai.  Les deux scientifiques ont déposé leur première demande de brevet pour CRISPR en mai 2012.  Elle est encore en cours d’examen.

Six mois plus tard, en janvier 2013, des scientifiques du Broad Institute du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et de l’Université de Harvard, sous la direction de Feng Zhang, ont annoncé qu’ils avaient trouvé un moyen d’utiliser CRISPR-Cas9 pour modifier les cellules des mammifères, ravivant encore l’intérêt suscité par sa capacité potentielle à générer de nouveaux traitements médicaux plus efficaces.  Les chercheurs du Broad Institute ont déposé leur première demande de brevet portant sur CRISPR en décembre 2012 et ont payé pour bénéficier d’une procédure d’examen accélérée.  Toujours selon Jon Cohen, 11 autres demandes de brevet ont été déposées pour étayer la revendication selon laquelle ils étaient les premiers à inventer un système CRISPR pour modifier les cellules de mammifères.  En avril 2014, l’Office des brevets et des marques des États-Unis d’Amérique (USPTO) a accordé un brevet à l’équipe du Broad Institute pour sa technologie CRISPR.
 
La bataille pour les droits de propriété

L’octroi du brevet à l’équipe du Broad Institute a déclenché une tempête juridique.  Le professeur Jake Sherkow de la New York Law School parle d’une “monstrueuse bataille autour d’un brevet de biotechnologie”.

Les enjeux sont phénoménaux.  Quiconque possède les droits commerciaux ou de propriété intellectuelle sur CRISPR-Cas9 est potentiellement en mesure de générer d’énormes gains financiers et de décider qui pourra l’utiliser.

Les pionniers de la recherche et leurs institutions respectives ont chacun des parts dans une poignée de jeunes entreprises qui ont attiré des millions de dollars d’investissement pour que les systèmes CRISPR-Cas9 se transforment en nouveaux traitements pour un large éventail de maladies génétiques.  On citera notamment Intellia Therapeutics (UC Berkeley), Caribou Sciences (J. Doudna), CRISPR Therapeutics et ERS Genomics (E. Charpentier) et Editas Medicine (Broad Institute).

Une analyse du paysage commercial de CRISPR-Cas9, réalisée par Jon Cohen pour la revue Science, révèle qu’une multitude de licences, qui souvent se recoupent, ont déjà été délivrées par les jeunes entreprises utilisant CRISPR pour de nombreuses applications dans les domaines de la médecine, de l’agriculture et de l’industrie.
La loi Bayh-Dole

Conformément à la loi Bayh-Dole de 1980, les universités américaines peuvent détenir des droits de propriété intellectuelle sur des inventions issues de recherches financées par des fonds fédéraux.  Dans leurs directives, les National Institutes of Health (ou Instituts nationaux de la santé aux États-Unis d’Amérique) recommandent toutefois que ces technologies soient concédées sous licence “à des conditions et selon des modalités raisonnables” afin de pouvoir les mettre au service d’autres recherches biomédicales.  L’UC Berkeley et le Broad Institute proposent d’ailleurs volontiers des licences non exclusives à des fins de recherche scientifique pure, relève Megan Molteni dans WIRED.  Néanmoins, quiconque souhaite commercialiser un produit en lien avec CRISPR doit obtenir une sous-licence de l’une des jeunes entreprises utilisant CRISPR.

Par ailleurs, étant donné que le champ d’application des licences exclusives qu’elles détiennent couvre les 20 000 gènes constituant le génome humain, certains mettent en doute la capacité de ces entreprises à développer à elles seules toutes les applications potentielles de la technologie.  Quel sera l’impact sur les autres sociétés de biotechnologie intéressées par la commercialisation des produits CRISPR?  Le fait de devoir obtenir une sous-licence supplémentaire de ces entreprises mettra-t-il un frein à l’innovation?
La procédure de collision de brevets

En avril 2015, l’UC Berkeley, représentant E. Charpentier et J. Doudna, a demandé l’ouverture d’une procédure de collision de brevets contre les brevets accordés au Broad Institute.  La Commission de première instance et d’appel pour les brevets (PTAB) de l’USPTO, qui est compétente pour statuer en la matière, a donné suite à la demande.  Les audiences ont débuté en janvier 2016.

Les procédures de collision de brevets sont en fait des “procès administratifs visant à déterminer laquelle de deux parties (ou plus) a été la première à inventer quelque chose”, explique Jake Sherkow.  Cette procédure est un vestige du système du premier inventeur en vigueur aux États-Unis d’Amérique jusqu’en mars 2013, date à laquelle il a été remplacé par la loi américaine sur les inventions (America Invents Act).  Les États-Unis d’Amérique délivrent désormais des brevets sur la base du système du “premier déposant”.  Étant donné que les brevets CRISPR contestés ont été déposés avant mars 2013, ils peuvent faire l’objet d’une procédure de collision de brevets.  “Une procédure de collision de brevets devant l’USPTO est généralement intentée lorsque plusieurs demandes de brevet déposées devant l’USPTO par différents inventeurs sont susceptibles de se chevaucher en portant sur la même invention”, observe Joe Stanganelli dans Bio IT World.

Selon lui, la question à laquelle devait répondre la PTAB était celle de savoir si les travaux des chercheurs du Broad Institute constituaient une nouveauté ou s’ils étaient “la prochaine étape logique, et/ou fondamentalement basés sur l’état de la technique”.

Le 12 février 2017, la PTAB a rendu sa décision.  Elle a considéré qu’il n’y avait ni chevauchement ni collision entre les brevets délivrés par l’USPTO au Broad Institute pour l’utilisation du CRISPR-Cas9 en vue de modifier les cellules de mammifères (génomes eucaryotes) et les demandes de brevet déposées par l’équipe de l’UC Berkeley pour l’utilisation du système dans n’importe quel environnement (voir l’encadré).  La PTAB a ainsi jugé que les revendications figurant dans la demande de brevet de Zhang n’étaient pas évidentes eu égard aux informations fournies dans la demande de brevet américain déposée par l’UC Berkeley.

En vertu de cette décision, le Broad Institute peut conserver ses brevets américains revendiquant des méthodes d’utilisation de CRISPR-Cas9 dans les cellules de mammifères (eucaryotes).  De son côté, l’UC Berkeley peut maintenir sa demande de brevet américain, qui revendique des méthodes d’utilisation de CRISPR-Cas9 dans n’importe quelles cellules.  Si les deux institutions y trouvent leur compte, cette décision est en revanche synonyme d’“incertitude maximale” pour la communauté des entreprises de biotechnologie qui ne savent pas trop si elles doivent obtenir une licence des deux universités, relève Kevin Noonan, associé chez McDonnell Boehnen Hulbert & Berghoff à Chicago (États-Unis d’Amérique), dans la revue Nature.
Résumé de la décision de la PTAB sur la requête déposée

Aux termes de la décision, “Broad a fourni suffisamment d’éléments probants montrant que ses revendications, qui sont toutes limitées aux systèmes CRISPR-Cas9 dans un environnement eucaryote, ne portent pas sur la même invention que les revendications présentées par l’UC, qui elles visent toutes les systèmes CRISPR-Cas9 sans les limiter à un environnement particulier.  Plus précisément, il est démontré que l’invention desdits systèmes dans les cellules eucaryotes n’aurait pas découlé de manière évidente de l’invention des systèmes CRISPR-Cas9 dans n’importe quel environnement, y compris dans les cellules procaryotes ou in vitro, dès lors que l’homme du métier moyen n’aurait pas pu raisonnablement escompter que le système CRISPR-Cas9 s’appliquerait avec succès dans un environnement eucaryote.  Les éléments de preuve démontrent que les revendications des parties n’entrent pas en collision”.
Les raisons de s’intéresser à la technologie CRISPR-Cas9

Le système de modification du génome CRISPR-Cas9 peut potentiellement “modifier la façon dont les chercheurs en sciences de la vie manipulent et programment l’ADN de pratiquement tous les organismes vivant sur terre”, explique le professeur Jake Sherkow.

Cette technologie ouvre la voie à une meilleure compréhension du fonctionnement des gènes dans les cellules et permettra de mettre au point de nouveaux traitements médicaux et de nouvelles thérapies plus efficaces pour un grand nombre de maladies aux effets dévastateurs.  En supprimant les séquences d’ADN dysfonctionnelles sous-jacentes, on pourrait non seulement soigner ces maladies mais aussi éviter leur transmission à la génération suivante.  Son application à l’agriculture et à l’industrie permet aussi d’entrevoir le développement de végétaux et d’animaux plus robustes et résistants aux maladies.  Les bienfaits potentiels pour la société sont donc immenses.
 
Les chercheurs à travers le monde utilisent déjà les systèmes CRISPR-Cas9 pour modifier le génome, notamment celui des champignons comestibles, du maïs, des souris, des singes, voire des embryons humains.  En juin 2016, les National Institutes of Health américains ont approuvé les premiers essais cliniques utilisant le CRISPR-Cas9 dans le traitement du cancer.  En septembre 2016, ce fut au tour de l’autorité britannique Human Fertilization and Embryo Authority (HFEA) d’approuver son utilisation pour modifier de façon permanente l’ADN d’un embryon humain.

Rappelons cependant qu’en l’état actuel des choses, la technologie CRISPR-Cas9 comporte toujours des risques importants et doit encore être affinée, par exemple en termes de précision et d’application aux cellules humaines.  Elle soulève aussi de nombreuses questions éthiques qui méritent un examen attentif.  Après tout, elle a le potentiel de modifier en profondeur le patrimoine génétique de l’humanité.  Face à ces préoccupations, Jake Sherkow fait remarquer que le Broad Institute a déjà délivré des “licences éthiques” à des preneurs de licence afin d’interdire certaines activités jugées contraires à l’intérêt général.  Vu le temps nécessaire pour élaborer des politiques efficaces, il estime qu’il s’agit là d’un bon moyen de “stopper momentanément les applications préoccupantes des nouvelles biotechnologies”
Quelles suites aura la décision de la PTAB?

Bien que la décision de la PTAB puisse être perçue comme une victoire incontestable pour le Broad Institute, les perspectives sont plus nuancées.  La bataille pour les droits de propriété intellectuelle sur la technologie CRISPR est loin d’être gagnée, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, l’UC Berkeley examine actuellement la possibilité de faire appel de la décision de la PTAB.  Elle reste convaincue que “l’équipe Doudna/Charpentier a été la première à inventer cette technologie pour une utilisation dans tous les environnements et tous les types de cellules, qu’elle a été la première à publier et à déposer des demandes de brevet portant sur cette invention, et que les brevets du Broad Institute portant sur l’utilisation du système CRISPR-Cas9 dans des types de cellules particuliers ne présentent pas de différence, du point de vue de la protection par brevet, avec l’invention de Doudna/Charpentier”.

Deuxièmement, plusieurs commentateurs pensent que les parties finiront sans doute par parvenir à un règlement impliquant la concession de licences croisées sur leur technologie.  Compte tenu des questions en suspens concernant la titularité des droits de propriété intellectuelle sur les vecteurs de CRISPR – qui permettent l’exécution du mécanisme dans l’ADN récepteur – ce scénario semble probable.  “Si l’UC obtient gain de cause pour les revendications du brevet sur les vecteurs de CRISPR, elle aurait le droit d’empêcher quiconque de les fabriquer, de les utiliser ou de les vendre”, explique Phillip Webber, conseil spécialisé en brevets de biotechnologie au sein du cabinet d’avocats Dehns à Oxford (Royaume-Uni).  Cela signifierait que même Editas Medicine, qui détient pourtant une licence exclusive pour exploiter les méthodes CRISPR de Zhang, devrait acquérir une licence de l’UC Berkeley.

Troisièmement, le Broad Institute et l’UC Berkeley ont tous deux déposé des demandes de brevet et les défendent en Europe.  Catherine Coombes, avocate spécialisée en brevets chez HGF à New York, note dans la revue Nature que la jurisprudence européenne pourrait donner lieu à une décision différente de celle de la PTAB.  Si l’Office européen des brevets estime que la recherche de l’UC Berkeley fournissait “une motivation suffisante” pour que d’autres chercheurs tentent d’appliquer le système CRISPR-Cas9 aux cellules de mammifères, le brevet de l’UC Berkeley pourrait alors être considéré comme couvrant les applications dans tous les types de cellules, ce qui lui donnerait un avantage sur les brevets du Broad Institute en Europe.

Enfin, de nombreux autres groupes de recherche se lancent eux aussi dans la course aux brevets CRISPR-Cas9.  Selon IPStudies, société suisse de conseil en gestion de la propriété intellectuelle, on compte actuellement plus de 900 familles de brevet, qui revendiquent toutes des droits sur différents aspects des systèmes CRISPR-Cas9.  Dès lors que ces groupes font valoir leurs droits, et exigent le paiement de redevances, le Broad Institute et l’UC Berkeley devront livrer encore de nombreuses batailles juridiques.

Quoi qu’il en soit, pendant que les tribunaux sont aux prises avec ces questions, la science continue d’avancer.  Des chercheurs du Broad Institute, toujours sous la houlette de Feng Zhang, ont déjà découvert une alternative intéressante à l’enzyme Cas9, dénommée Cpf1, pour laquelle ils ont déposé une demande de brevet.  Cette nouvelle enzyme offre plus de possibilités aux scientifiques pour modifier les gènes de certaines bactéries.  S’il n’existe pas encore de thérapie CRISPR, il semblerait qu’un certain nombre d’essais débuteront cette année.  Affaire à suivre.
 

-Aux origines de la pensée eugéniste avec Jean Gayon (Philosophe et professeur),,en faisant un petit détour pédagogique vers les débuts de la découverte de ce système de défense  bactérien avec Pauline Gravel et Inf'OGM:

 

CRISPR-Cas9, cet acronyme bizarroïde qui a envahi la littérature scientifique et a fait la manchette à maintes reprises en 2015, désigne un extraordinaire outil permettant de modifier le génome à volonté. CRISPR-Cas9 fait rêver les chercheurs qui espèrent corriger les mutations génétiques à l’origine de maladies héréditaires, rendre les cellules sanguines résistantes au VIH, et beaucoup plus… La puissance de cette technique est telle que la communauté scientifique s’est réunie en décembre dernier afin d’en interdire l’usage dans le but d’effectuer des modifications chez l’humain qui se transmettraient aux générations futures.

C’est en essayant de comprendre comment certaines bactéries lactiques arrivaient à se défendre contre les virus qui les attaquaient que des chercheurs ont découvert le système CRISPR-Cas9, en 2007. Sylvain Moineau, de l’Université Laval, qui a contribué à mettre en lumière le fonctionnement de ce moyen de défense, travaillait alors avec des collaborateurs français et américains sur la bactérie Streptococcus thermophilus qui est utilisée pour la fermentation du yogourt et du fromage. « Il arrive à l’occasion que ces bactéries se font attaquer par des virus, appelés phages, qui sont naturellement présents dans le lait. La pasteurisation n’élimine que les cellules pathogènes, mais il subsiste de ces petits phages qui ne sont pas dangereux pour les humains mais qui détruisent les bactéries qui ne feront plus leur travail. On se ramasse alors avec un fromage de mauvaise qualité ou pas de fromage du tout ! » explique M. Moineau, avant d’ajouter que les bactéries ont développé au cours de l’évolution divers mécanismes leur permettant de résister aux phages. Quelques-uns d’entre eux étaient déjà connus, et en 2007, M. Moineau et ses collègues en ont caractérisé un nouveau, qui a été nommé Clustered regularly interspaced short palindromic repeats — associated protein 9 (Courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées), fréquemment désigné sous l’acronyme CRISPR-Cas9. « Seulement la moitié des espèces de bactéries possèdent le système crspr-cas et celui-ci est dominant chez les bactéries du yogourt et du fromage », précise M. Moineau, qui est professeur au Département de biochimie, microbiologie et bio-informatique de la Faculté des sciences et génie de l’Université Laval.

 

Fonctionnement de CRISPR-Cas9

 

Lorsqu’une bactérie est infectée par un phage, et que ce dernier pénètre à l’intérieur de la bactérie, le système CRISPR-Cas de la bactérie s’empare d’une portion du génome du virus et l’insère dans le génome de la bactérie à un endroit spécifique, appelé locus du CRISPR. De ce locus sont ensuite produits de petits ARN, dont une partie de la séquence est complémentaire à celle de l’ADN du phage qui a été intégrée au génome de la bactérie. L’autre partie de l’ARN complémentaire (ARNc) se lie à une enzyme, en l’occurrence une nucléase appelée Cas9, qui a le pouvoir de couper l’ADN comme le feraient des ciseaux.

 

« Ce complexe formé de l’ARNc et de l’ADN de la Cas9 agit comme un anticorps », explique M. Moineau. Ces anticorps se promènent dans la cellule et jouent le rôle de sentinelles qui guettent l’arrivée de phages similaires à celui qu’elles doivent combattre. Ainsi, dès qu’un nouveau phage entre dans la bactérie, l’ARNc reconnaît la portion de l’ADN du phage qui lui correspond et va s’y fixer. La liaison entre l’ARNc et l’ADN du phage entraîne l’activation de la protéine Cas9, qui coupe l’ADN du phage venant d’entrer dans la cellule. La section du génome du phage entraîne alors sa mort. « Ce mécanisme est naturel. Il se met en branle naturellement dans les cellules », souligne M. Moineau, qui a mis en évidence le rôle de la Cas9 et celui des ARNc chez les bactéries lactiques.

 

Outil d’édition du génome

 

Par la suite, la biologiste moléculaire Jennifer Doudna, de l’Université de Californie à Berkeley, et la microbiologiste française Emmanuelle Charpentier, de l’Institut Max Planck de Berlin, d’un côté, et Feng Zhang du Broad Institute de Cambridge, au Massachusetts, ont compris que ce système naturel pourrait s’avérer un outil fort utile.

 

« Ils ont domestiqué le système CRISPR-Cas9. Ils ont rassemblé dans un même vecteur le petit ARNc et une portion du locus CRISPR qui comprend le gène codant pour Cas9. Ce vecteur peut ensuite être introduit dans des cellules végétales, animales ou humaines, précise Sylvain Moineau. La beauté du système est que l’on peut changer la séquence du petit ARNc à volonté. On peut changer cette séquence pour qu’elle soit complémentaire à n’importe quelle région spécifique du génome que l’on veut modifier, et pour qu’elle puisse ainsi la reconnaître lorsqu’on l’introduira dans une cellule. On change ainsi la spécificité de nos ciseaux [c’est-à-dire la Cas9] simplement en changeant la séquence de ce petit ARN. »

 

Lorsque l’ARNc se fixe à la séquence d’ADN de la cellule que l’on désire modifier, l’enzyme Cas9 coupe les deux brins d’ADN. « Cette coupure met la vie de la cellule en péril si elle n’est pas réparée. Mais heureusement, la cellule possède des mécanismes de réparation car des accidents de ce genre sont assez fréquents », indique M. Moineau.

 

« La cassure des deux brins d’ADN de la cellule met en branle le système de réparation. Or, si à ce moment-là on fournit alors à la cellule un ADN donneur contenant les changements que l’on désire apporter, des enzymes copieront cet ADN et l’intégreront exactement à l’endroit où le double brin a été coupé », explique Jerry Pelletier, professeur au Département de biochimie de l’Université McGill.

 

L’ADN donneur peut contenir une mutation que l’on veut introduire ou le gène exempt de la mutation que l’on cherche à éliminer, par exemple.

 

Comparativement aux techniques précédentes, la CRISPR-Cas9 est beaucoup plus précise et permet d’effectuer des modifications génétiques beaucoup plus facilement et rapidement. Pour toutes ces raisons, son emploi s’est répandu comme une traînée de poudre dans les laboratoires.

 

Applications

 

Actuellement, la technique CRISPR-Cas9 est surtout utilisée en recherche fondamentale. « Beaucoup de progrès ont été faits en génomique. On séquence des génomes à une vitesse incroyable, mais en fin de compte, il reste encore beaucoup de gènes dont on ne connaît pas la fonction. Or, le système CRISPR-Cas9 nous permet d’inactiver un gène (en le mutant) pour voir ce que cela entraîne dans la cellule [ce qu’on appelle la génétique inverse]. C’est fabuleux. Ça va accélérer notre compréhension du génome », fait valoir M. Moineau.

 

Yannick Doyon, professeur au Département de médecine moléculaire du Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval, a réussi à corriger les défauts génétiques responsables de l’hémophilie chez un modèle de souris de la maladie. Toujours chez la souris, il s’applique maintenant à faire les corrections génétiques nécessaires pour guérir des maladies métaboliques d’origine génétique, comme la tyrosinémie, des maladies rares mais qui sont plus fréquentes au Québec en raison de l’effet fondateur.

 

L’équipe de Jacques-P. Tremblay, de la Faculté de médecine et du CHU de Québec-Université Laval, publiait un article cette semaine dans lequel elle explique avoir utilisé le système CRISPR-Cas9 pour réparer le gène responsable de la dystrophie musculaire de Duchenne dans des cellules humaines cultivées en laboratoire, un tout premier pas, mais un pas important dans la lutte contre cette maladie impitoyable qui fauche les garçons avant l’âge de 25 ans.

 

L’équipe de Jerry Pelletier, à McGill, a recours au système CRISPR-Cas9 pour mieux comprendre le dérèglement que subissent les cellules qui deviennent cancéreuses. « Quand une cellule devient cancéreuse, la nature et l’abondance des protéines qu’elle synthétise changent. Elle produit plus de certaines protéines et moins de certaines autres, ce qui lui permet de croître plus rapidement et de devenir résistante au stress. Nous mutons certains gènes que nous croyons impliqués dans la régulation de ce processus et nous regardons l’effet de ces mutations sur la production des protéines. Si nous voyons quelque chose nous indiquant qu’il s’agit d’un gène stratégique, nous chercherons une drogue qui pourrait agir sur ce gène ou la protéine qu’il synthétise », explique M. Pelletier.

 

Des essais cliniques visant à rendre les cellules T sanguines résistantes au VIH devraient débuter sous peu. Pour ce faire, on prélèvera des cellules T de patients. Puis, on introduira dans le génome de ces cellules une mutation qui inactivera les récepteurs sur lesquels se fixe le VIH lorsqu’il s’apprête à les investir. Ces cellules seront ensuite réinfusées aux patients. « Ces essais cliniques ont lieu avec un autre système plus ancien que Cas9, le zinc ZFN [zinc figer nuclease, ou nucléase à doigt de zinc], mais il serait plus facile, plus rapide et préférable d’utiliser Cas9 », précise Jerry Pelletier.

 

Dans un article scientifique publié en avril 2015, l’équipe de Junjiu Huang, de l’Université Sun Yat-sen en Chine, décrivait avoir employé la technologie CRISPR-Cas9 pour réparer le gène responsable de la ß-thalassémie, une maladie sanguine héréditaire chez des embryons humains. Cette publication a soulevé un tollé au sein de la communauté scientifique. Le chercheur chinois s’est alors défendu d’avoir réalisé ces expériences sur des embryons non viables, qui ne se seraient jamais développés complètement, et qu’il avait voulu simplement montrer que la technique n’était pas encore assez sûre pour de telles utilisations chez l’humain.

 

Moratoire

 

En raison de l’inquiétude suscitée par cette publication, l’Académie nationale des sciences des États-Unis, l’Académie des sciences de Chine et la Société royale de Londres ont organisé une rencontre en décembre dernier à Washington afin de discuter de la possibilité d’imposer un moratoire sur l’utilisation du système CRISPR-Cas9 pour modifier le génome des cellules germinales humaines, car ces cellules, qui sont issues des toutes premières cellules embryonnaires et qui forment les ovules et les spermatozoïdes, transmettent les changements qu’elles ont subis à leur descendance.

 

Alors que la thérapie génique, une technique médicale bien acceptée qui consiste à corriger la mutation — causant une maladie génétique — directement dans les cellules du tissu affecté d’un individu, procéder à de telles corrections dans les cellules germinales engendre la transmission de cette modification aux enfants du patient. Or, si cette démarche devenait courante, elle finirait par altérer la nature de l’espèce humaine, font valoir certains scientifiques. Ces derniers rappellent que les maladies qui sont causées par un seul gène défectueux sont rares et qu’on peut très souvent les prévenir en ayant recours à la fécondation in vitro et en implantant dans l’utérus de la femme uniquement des embryons qui auront été diagnostiqués exempts de la mutation.

 

D’autres chercheurs ont souligné le fait que s’il est permis de modifier le génome des cellules germinales, la tentation sera grande de favoriser l’expression de traits physiques ou mentaux désirables, et de créer des bébés répondant à tous nos désirs.

 

Les chercheurs réunis en sont arrivés à la conclusion que la technique CRISPR-Cas9 n’est pas encore suffisamment sûre pour que son utilisation soit autorisée dans les cellules germinales.

 

« Nous ne sommes vraiment pas prêts pour des modifications génétiques chez l’humain. Il est très important qu’il y ait un moratoire car cette technologie est utilisée depuis peu et contient encore des boîtes noires qu’il nous faut élucider », affirme Sylvain Moineau.

 

Le système CRISPR-Cas9 est beaucoup plus précis et efficace que les outils précédents, mais il n’est pas parfait. Parfois, le système CRISPR-Cas9 ne coupe pas les brins d’ADN exactement à l’endroit désiré. « En recherche, ce n’est pas un problème car nous avons des façons de vérifier si la coupure a eu lieu au bon endroit. Mais quand cela se passe chez l’humain, c’est une autre paire de manches, cela peut être problématique, prévient M. Moineau. Une fois qu’on aura maîtrisé la technique et qu’on aura diminué ce risque, pourquoi pas ? Mais pour l’instant, non. »

 

Jerry Pelletier croit aussi que les chercheurs ne sont absolument pas prêts pour procéder à des corrections sur des embryons humains. Il explique que la « coupure hors cible » est un problème de taille qu’il faudra surmonter avant d’envisager d’intervenir sur des embryons humains. Celle-ci peut survenir lorsque, par exemple, « 15 des 20 nucléotides qui composent l’ARN complémentaire que nous avions préparé reconnaissent une autre séquence dans le génome qui n’est pas à l’endroit que nous avions prévu », précise M. Pelletier.

 

Yannick Doyon ajoute que si l’ARN guide « n’est pas totalement spécifique », et qu’il ne se fixe pas à l’endroit prévu, des mutations pourront apparaître à des endroits non désirés. « Pour le moment, ces techniques-là sont utilisées uniquement en recherche fondamentale », dit-il avant de souligner l’importance de poursuivre le débat, car « la technologie est tellement accessible et facile à utiliser ».

18/05/2013
Jean Gayon Philosophe, professeur
EUGÉNISME - Galton a défini ainsi le mot (Galton, 1883, p. 24): "[L'eugénique est] la science de l'amélioration des lignées [stock], qui n'est aucunement confinée à des questions de croisement judicieux, mais qui, tout particulièrement dans le cas de l'homme, prend appui sur tous les facteurs susceptibles de conférer aux races ou souches [strains of blood] les plus convenables une plus grande chance de prévaloir rapidement sur celles qui le sont moins" (Galton, 1883, p. 24). Cette définition est complexe. Elle parle d'une "science" mais, visant un effet pratique, c'est sans doute plus une technique qu'une science. Par ailleurs, la définition implique un jugement de valeur ("races les plus convenables"), et suggère un projet politique. [...]
 

On peut distinguer quatre strates successives de l'eugénisme, qui ont sédimenté au cours de l'histoire, chacune laissant sa trace dans les suivantes (Gayon, 1998).

L'idée

L'idée est un archétype transculturel qui semble avoir existé chez les peuples élevant des animaux. Platon en a donné une fois pour toutes une formule saisissante: "Il faut [...] que, le plus souvent possible, ce soit l'élite des hommes qui ait commerce avec l'élite des femmes, et, au contraire, le rebut avec le rebut ; que les rejetons des premiers soient élevés, non ceux des seconds, si l'on veut que le troupeau garde sa qualité éminente ; et, en outre, que toutes ces dispositions, quand on les prend, soient ignorées de tout le monde sauf des Magistrats" (République, 459d-460b ; Platon 1963, vol. II, p. 1033).

 

L'appel platonicien à régler les unions pour préserver la qualité des peuples a été souvent repris dans la littérature politique, puis en médecine, lorsque celle-ci a commencé au XVIIe à s'intéresser à "l'art de faire de beaux enfants" (la "callipédie"). Au XVIIIe siècle, les aspects politique et médical se joignent dans des déclarations appelant à prendre en compte l'amélioration des qualités "naturelles" de l'homme dans la conception du progrès (par exemple: Condorcet, 1793).

 

L'idéologie eugéniste

Qualifier l'eugénisme comme une idéologie, c'est admettre qu'à un moment donné de l'histoire, il a porté reflet d'une réalité sociale conflictuelle, et a fonctionné comme un discours visant à justifier des rapports inégalitaires entre les hommes. L'idéologie eugéniste s'est construite en référence à deux aspects importants de la pensée scientifique de la seconde moitié du XIXe siècle qui ont joué un rôle capital dans sa stratégie de justification: la théorie de l'hérédité et la théorie de l'évolution par sélection naturelle.

 

Galton, qui forgea le terme d'eugénique, est aussi le savant qui a le premier proposé un concept "dur" de l'hérédité, selon lequel les organismes individuels ne sont du point de vue de l'hérédité que des "transporteurs passifs". Dans cette conception de l'hérédité, les individus ne transmettent pas à leur progéniture ce qu'ils ont acquis au cours de leur développement et existence, mais un stock de caractères qu'ils avaient eux-mêmes à leur conception. Le concept dur de l'hérédité était tout adapté à un discours fataliste sur la maladie, la délinquance, et les handicaps sociaux.

Le lien entre eugénisme et théorie de l'évolution par sélection naturelle est plus subtil. [...] Dans les peuples civilisés - a-t-on dit - la sélection naturelle ne joue plus son rôle d'amélioration, car divers facteurs entraînent la dégénérescence des peuples européens et favorisent la prolifération des inaptes: les guerres nationales, qui exterminent les jeunes hommes les plus vigoureux, la médecine, qui permet à des individus maladifs de grandir et de se reproduire, enfin la fécondité supposée plus grande des classes inférieures de la société. Tous ces facteurs étaient autant de formes d'une "sélection sociale" qui font échec à la sélection naturelle. Ces contre-sélections ont été présentées comme des facteurs d'évolution rétrograde, condamnant les sociétés "civilisées" à une décadence certaine, si elles ne réagissaient pas par une sélection artificielle appropriée (Galton, 1865 ; Greg, 1868 ; Haeckel, 1874 ; Vacher de Lapouge, 1888).

[...]

L'eugénisme a aussi interféré avec des aspirations nouvelles relatives au statut de la reproduction dans les sociétés modernes. En écho aux féministes de la fin du XIXe siècle qui faisaient valoir le droit des femmes à "l'amour libre", à se marier avec qui elles le voulaient, et à exercer un métier, certains eugénistes ont plaidé dans le même sens, déclarant que le mariage était trop souvent déterminé par des contraintes sociales indifférentes à la qualité de "la race". [...]

Lois eugénistes

Dans la première moitié du XXe siècle, l'eugénisme cesse d'être un objet de débat, et fait l'objet de lois coercitives dans de nombreux pays. Mais là encore, il faut se défier de généralisations hâtives.

En Angleterre, pays où l'idéologie s'est d'abord développée avec le plus de vigueur, aucune loi eugéniste ne fut jamais votée. En France, où les conceptions eugénistes étaient plus faiblement représentées, la loi sur l'examen prénuptial, promulguée sous le régime de Vichy en 1942, fut la seule, et ressemblait plutôt à une mesure d'hygiène générale et non discriminatoire. Aux États-Unis, environ 50 000 individus furent stérilisés entre 1907 et 1949 sous couverture légale, et dans un grand nombre de cas pour des motifs explicitement eugéniques. En Allemagne, on estime qu'environ 400 000 individus furent stérilisés entre 1933 et 1937 au nom des lois de 1933 et 1935. Ces lois prescrivaient la stérilisation obligatoire des personnes présentant des troubles héréditaires tels que l'épilepsie, la cécité, la schizophrénie et de manière générale l'arriération mentale. En 1939-41, l'opération Euthanasie (opération secrète, et donc non légale, même du point de vue de l'État nazi) aboutit au meurtre d'au moins 70 000 malades mentaux. L'extermination massive des Juifs et des Tziganes fut enfin menée au nom d'une politique d' "hygiène raciale", selon le terme accrédité en Allemagne depuis le début du XXe siècle pour désigner l'eugénisme. Bien que l'entreprise génocidaire nazie soit un cas unique dans l'histoire internationale de l'eugénisme, et bien que les Procès de Nuremberg l'en ait distinguée, elle a bien relevé d'un même projet politique global de discrimination, stérilisation et extermination (Müller-Hill, 1989). Dans les pays scandinaves enfin, des lois de stérilisation des criminels et des malades mentaux furent votées dans les années 1930, et appliquées avec une sévérité croissante, en particulier après la guerre: entre 1945 et 1949, le rythme des stérilisations a été de quarante fois supérieur à ce qu'il avait été aux États-Unis avant la guerre (Sutter, 1950).

Diane Paul (1995) a bien tiré la conclusion de ces faits: l'idéologie eugéniste n'a pas conduit partout à des lois eugénistes, et lorsque de telles lois ont existé, elles n'ont pas mené automatiquement aux mêmes extrêmes ni servi les mêmes buts. [...]

Le nouvel eugénisme: l'eugénisme à l'ère de la génétique médicale

[...] Après la Seconde Guerre mondiale, les mots "eugénique" et "eugénisme" ont régressé, en raison des horreurs auxquelles le nazisme les avait associés. La question est néanmoins revenue sous des formes inédites. [...]

C'est la combinaison d'une série d'événements techniques (amniocentèse, diagnostic prénatal, fécondation in vitro...) et d'une série d'événements juridiques (dépénalisation de l'avortement au Royaume-Uni en 1967, aux USA en 1973, en France en 1975, puis dans d'autres pays) qui a spectaculairement réactualisé la question eugénique dans les années 1990. [...] D'autres techniques bio-médicales ont été dans le même sens. La fécondation in vitro, associée au diagnostic pré-implantatoire, permet un tri des embryons. L'insémination artificielle est aussi une pratique "eugénique", dans la mesure où les donneurs ne sont pas choisis au hasard (au moins du point de vue des médecins). Enfin les campagnes de prévention des mariages entre hétérozygotes dans certaines communautés (maladie de Tay-Sachs chez les Juifs ashkénazes américains, anémie falciforme chez les Noirs américains, thalassémie à Chypre), ont aussi fait parler d'un "retour de l'eugénisme" (Duster, 1992).

Ces pratiques contemporaines ont presque toutes quelque chose en commun. Elles sont fondées sur le volontariat, et sont communément justifiées par le souci de prévenir une souffrance individuelle, plutôt que par l'avenir génétique de la race ou de l'espèce. [...]

Le « nouvel eugénisme » a donc un profil assez différent de l'eugénisme traditionnel. Celui-ci procédait de l'État, et de la conviction que la reproduction était une affaire trop importante pour être laissée aux seuls individus. Le nouvel eugénisme, souvent qualifié comme "eugénisme individuel", ou encore "eugénisme domestique" (home eugenics) procède d'une vision opposée de la reproduction. [...]

 

Extrait de l'article "Eugénisme" du Dictionnaire Historique et Critique du Racisme, sous la direction de Pierre-André Taguieff
 - Les premières explications du 7 novembre 2014avec Inf'OGM

Eric MEUNIER,

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