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16 septembre 2016 5 16 /09 /septembre /2016 15:18
Quand les Américains voulaient gouverner la France

Mai 2003, page 19

Par Annie Lacroix-Riz

C’est une page peu connue de l’histoire de la seconde guerre mondiale : dès 1941-1942, Washington avait prévu d’imposer à la France - comme aux futurs vaincus, Italie, Allemagne et Japon - un statut de protectorat, régi par un Allied Military Government of Occupied Territories (Amgot). Ce gouvernement militaire américain des territoires occupés aurait aboli toute souveraineté, y compris le droit de battre monnaie, sur le modèle fourni par les accords Darlan-Clark de novembre 1942.

À en croire certains historiens américains, ce projet tenait à la haine qu’éprouvait Franklin D. Roosevelt pour Charles de Gaulle, « apprenti dictateur » qu’il eût voulu épargner à la France de l’après-Pétain. Cette thèse d’un président américain soucieux d’établir la démocratie universelle est séduisante, mais erronée. [1]

À l’époque, les États-Unis redoutaient surtout que la France, bien qu’affaiblie par la défaite de juin 1940, s’oppose à leurs vues sur deux points, du moins si de Gaulle, qui prétendait lui rendre sa souveraineté, la dirigeait. D’une part, ayant lutté après 1918-1919 contre la politique allemande de Washington, Paris userait de son éventuel pouvoir de nuisance pour l’entraver à nouveau. D’autre part, la France répugnerait à lâcher son empire, riche en matières premières et en bases stratégiques, alors que les Américains avaient dès 1899 exigé - pour leurs marchandises et leurs capitaux - le bénéfice de la « porte ouverte » dans tous les empires coloniaux. [2] C’est pourquoi les États-Unis pratiquèrent à la fois le veto contre de Gaulle, surtout lorsque son nom contribua à unifier la Résistance, et une certaine complaisance mêlée de rigueur envers Vichy. À l’instar des régimes latino-américains chers à Washington, ce régime honni aurait, à ses yeux, l’échine plus souple qu’un gouvernement à forte assise populaire. Ainsi chemina un « Vichy sans Vichy » américain, qu’appuyèrent, dans ses formes successives, les élites françaises, accrochées à l’État qui leur avait rendu les privilèges entamés par l’« ancien régime » républicain et soucieuses de négocier sans dommage le passage de l’ère allemande à la pax americana.

Préparant depuis décembre 1940, bien avant leur entrée en guerre (décembre 1941), leur débarquement au Maroc et en Algérie avec Robert Murphy, représentant spécial du président Roosevelt en Afrique du Nord et futur premier conseiller du gouverneur militaire de la zone d’occupation américaine en Allemagne - bête noire des gaullistes -, les États-Unis tentèrent un regroupement autour d’un symbole de la défaite, le général Maxime Weygand, délégué général de Vichy pour l’Afrique jusqu’en novembre 1941. L’affaire échouant, ils se tournèrent, juste avant leur débarquement du 8 novembre 1942, vers le général Henri Giraud. Vint ensuite le tour de l’amiral François Darlan, alors à Alger : ce héraut de la collaboration d’État à la tête du gouvernement de Vichy, de février 1941 à avril 1942, était resté auprès de Pétain après le retour au pouvoir de Pierre Laval. [3]

Le 22 novembre 1942, le général américain Mark W. Clark fit signer à l’amiral « retourné » « un accord singulier » mettant « l’Afrique du Nord à la disposition des Américains » et faisant de la France « un pays vassal soumis à des capitulations ». Les Américains « s’arrogeaient des droits exorbitants » sur le « prolongement territorial de la France » : déplacement des troupes françaises, contrôle et commandement des ports, aérodromes, fortifications, arsenaux, télécommunications, marine marchande ; liberté de réquisitions ; exemption fiscale ; droit d’exterritorialité ; « administration des zones militaires fixées par eux » ; certaines activités seraient confiées à des « commissions mixtes » (maintien de l’ordre, administration courante, économie et censure). [4] Laval lui-même préparait son avenir américain tout en proclamant « souhaiter la victoire de l’Allemagne » (22 juin 1942) : secondé par son gendre, René de Chambrun, avocat d’affaires collaborationniste doté de la nationalité américaine et française, il se croyait promis par Washington à un rôle éminent au lendemain d’une « paix séparée » germano-anglo-américaine contre les Soviets. [5] Mais soutenir Laval était aussi incompatible avec le rapport de forces hexagonal que ladite « paix » avec la contribution de l’Armée rouge à l’écrasement de la Wehrmacht.

Après l’assassinat, le 24 décembre 1942, de Darlan, auquel furent mêlés les gaullistes, Washington revint vers Giraud, fugace second de De Gaulle au Comité français de libération nationale (CFLN) fondé le 3 juin 1943. Au général vichyste s’étaient ralliés, surtout depuis Stalingrad, hauts fonctionnaires (tel Maurice Couve de Murville, directeur des finances extérieures et des changes de Vichy) et industriels (tel l’ancien cagoulard Lemaigre-Dubreuil, des huiles Lesieur et du Printemps, qui jouait depuis 1941 sur les tableaux allemand et américain) et banquiers collaborateurs (tel Alfred Pose, directeur général de la Banque Nationale pour le Commerce et l’Industrie, féal de Darlan). C’est cette option américaine qu’incarnait Pierre Pucheu en rejoignant alors Alger et Giraud : quel symbole du maintien de Vichy que ce ministre de la Production industrielle, puis de l’Intérieur de Darlan, délégué de la banque Worms et du Comité des Forges, ancien dirigeant et bailleur de fonds du Parti Populaire Français de Jacques Doriot, champion de la collaboration économique et de la répression anticommuniste au service de l’occupant (désignation des otages de Châteaubriant, création des sections spéciales, etc.).

Lâché par Giraud et emprisonné en mai 1943, il fut jugé, condamné à mort et exécuté à Alger en mars 1944. Pas seulement pour plaire aux communistes, que Pucheu avait martyrisés : de Gaulle lançait ainsi un avertissement aux États-Unis et à la Grande-Bretagne. Il sema l’effroi chez ceux qui attendaient que le sauvetage américain succédât au « rempart » allemand : « Le bourgeois français, ricanait un policier en février 1943, a toujours considéré le soldat américain ou britannique comme devant être à son service au cas d’une victoire bolchevique. » [6] Peignant de Gaulle à la fois en dictateur de droite et en pantin du Parti Communiste Français et de l’URSS, Washington dut pourtant renoncer à imposer le dollar dans les « territoires libérés » et (avec Londres) reconnaître, le 23 octobre 1944, son Gouvernement provisoire de la République française : deux ans et demi après la reconnaissance soviétique du « gouvernement de la vraie France », un an et demi après celle, immédiate, du CFLN, deux mois après la libération de Paris et peu avant que de Gaulle ne signât avec Moscou, le 10 décembre, pour contrebalancer l’hégémonie américaine, un « traité d’alliance et d’assistance mutuelle » qu’il qualifia de « belle et bonne alliance ». [7]

Écartée de Yalta en février 1945, dépendante des États-Unis, la France s’intégra pleinement dans leur sphère d’influence. La vigueur de sa résistance intérieure et extérieure l’avait cependant soustraite à leur protectorat.

Annie Lacroix-Riz

Professeur d’histoire contemporaine, université Paris-VII, auteure des essais Le Vatican, l’Europe et le Reich 1914-1944 et Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 1930, Armand Colin, Paris, 1996 et 2006.

(Illustration : Une image peu connue : Darlan, signataire de l’armistice avec le nouveau vainqueur, 22 novembre 1942)

monde-diplomatique.fr

[1] Costigliola Frank, France and the United States. The Cold Alliance since World War II, Twayne Publishers, New York, 1992

[2] William A. Williams, The Tragedy of American Diplomacy, Dell Publishing, New York, 1972 (première édition, 1959)

[3] Robert O. Paxton, La France de Vichy, Seuil, Paris, 1974

[4] Jean-Baptiste Duroselle, L’Abîme, 1939-1945, Imprimerie nationale, Paris, 1982, et Annie Lacroix-Riz, Industriels et banquiers français sous l’Occupation, Armand Colin, Paris, 1999

[5] Leitmotiv depuis 1942 de Pierre Nicolle, Journal dactylographié, 1940-1944, PJ 39 (Haute Cour de justice), archives de la préfecture de police, plus net que l’imprimé tronqué, Cinquante mois d’armistice, André Bonne, Paris, 1947, 2 vol.

[6] Lettre n° 740 du commissaire de police au préfet de Melun, 13 février 1943, F7 14904, Archives nationales ; voir Richard Vinen, The politics of French business, 1936-1945, Cambridge University Press, Cambridge, 1991

[7] Note du directeur adjoint des affaires politiques, Paris, 25 octobre 1944, et traité en huit articles Europe-URSS, 1944-1948, vol. 51, archives du ministère des affaires étrangères

« That is what the americans expect us to do »

« Voilà ce que les Américains attendent de nous »


par Raoul Marc Jennar

Par Raoul Marc Jennar

« C’est ce que les Américains attendent que nous fassions » vient de déclarer Mme Ursula von der Leyen, ministre allemande de la Défense comme principal argument pour justifier la proposition qu’elle vient de lancer : créer une Union européenne de la défense.

Les citoyens du Royaume-Uni de Grande Bretagne décident majoritairement de quitter l’Union européenne et qui voit-on se précipiter à Bruxelles et à Londres : John Kerry, le Secrétaire d’État US. Les maîtres s’inquiètent. Les archives ont depuis longtemps révélé que ce sont les USA qui ont voulu ce qui est devenu l’UE. Ils ont trouvé en Jean Monnet (un homme qui avait écrit pendant la guerre à Roosevelt qu’il fallait « liquider » de Gaulle) et Robert Schumann (un homme qui a voté les pleins pouvoirs à Pétain et a été décrété d’indignité nationale à la Libération, décision annulée suite à une intervention du Vatican) de fidèles exécutants.

Qui se souvient que les USA ont entretenu avec le régime de Vichy des relations diplomatiques jusqu’en novembre 1942, soit un an après l’entrée en guerre avec l’Allemagne ? Qui se souvient qu’ils avaient décidé d’administrer la France (comme ils l’ont fait du Japon) au moyen d’un « Allied Military Government of Occupied Territories » (Amgot) qui avait même imprimé sa propre monnaie qui fut distribuée en Normandie. Il fallut l’opposition énergique de Charles de Gaulle dont l’autorité était renforcée par le poids de la Résistance pour s’opposer à cette tentative d’un protectorat US sur la France. (lire à ce propos ci-dessous Le Monde diplomatique de mai 2003, page 19).

Si l’idée d’une Europe européenne était présente jusqu’à l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’UE, si des velléités d’indépendance ont encore pu s’exprimer aussi longtemps que la France était en dehors du commandement militaire de l’OTAN, aujourd’hui l’UE n’est plus qu’un appendice des USA. Le projet de traité transatlantique doit formaliser cette absorption totale des pays d’Europe dans la sphère sous contrôle US. Alors que des troupes et des blindés allemands se trouvent une nouvelle fois à quelques centaines de kilomètres de la ville martyre que fut Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), la patronne de l’armée allemande appelle de ses voeux une armée européenne, parce que « C’est ce que les Américains attendent que nous fassions » ! Une armée dont les soldats de chez nous serviront de chaire à canon pour les politiques bellicistes conçues par les faucons de Washington aux ordres d’un complexe militaro-industriel qui a toujours besoin d’ennemis à combattre.

L’UE qui sert à nous aliéner aux USA va servir à nous entraîner dans la guerre, alors qu’elle a soi-disant été créée pour préserver la paix. Mais quand donc les peuples d’Europe se lèveront-ils pour retrouver la libre détermination de leurs choix ? Et si, pour commencer, nous agissions pour que l’UE et l’OTAN deviennent des enjeux de la prochaine campagne présidentielle et des législatives qui suivront. Cela ne dépend que de nous d’interpeller les élus sortants et les partis politiques qui sont les véritables responsables de notre aliénation.

jennar.fr

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