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22 mai 2015 5 22 /05 /mai /2015 05:15

Société

Par Pauline Graulle - Suivre sur twitter - 18 mai 2015

Affaire Kerviel - Société générale : vers un scandale d’Etat ?

Les nouvelles révélations de Mediapart fragilisent la version de la banque et Plusieurs politiques demandent la révision du procès.

« L’affaire Kerviel » est-elle une erreur judiciaire ? Le fruit d’un complot pour sauver une banque sur le dos d’un de ses salariés, Jérôme Kerviel ? Un témoignage révélé hier par Mediapart (lire ici et ici) jette un énième, mais important, pavé dans la mare (déjà remplie d’eau trouble) de l’affaire.

Lire > Jérôme Kerviel : Sept ans de déboires

Oui, la Société Générale connaissait les agissements de son trader, et oui, elle aurait manipulé le procès pour cacher la vérité, avec le concours de la justice. Ce ne sont plus seulement les défenseurs de Jérôme Kerviel qui le disent, mais la commandante de police chargée de l’affaire, qui l’a déclaré très officiellement au juge d’instruction Roger Le Loire.

« A l’occasion des différentes auditions et des différents documents que j’ai pu avoir entre les mains, j’ai eu le sentiment puis la certitude que la hiérarchie de Jérôme Kerviel ne pouvait ignorer les positions prises par ce dernier », a affirmé Nathalie Le Roy

d’après le PV d’audition que s’est procuré Mediapart.

Des témoins « dirigés » par la Société Générale

Ce témoignage, recueilli dans le cadre de l’information judiciaire ouverte en juin 2014 pour « escroquerie au jugement » et « faux et usage de faux », à la suite d’une plainte de l’ancien trader et de son avocat, semble donner raison à ces derniers, qui dénoncent depuis bien longtemps les dysfonctionnements liés à l’enquête. Au juge, la policière explique ainsi :

« C’est la Société générale elle-même qui m’adress[ait] les personnes qu’elle juge[ait] bon d’être entendues. Je n’ai jamais demandé : “Je souhaiterais entendre telle ou telle personne.” C’est la Société générale qui m’a dirigé tous les témoins. »

Ce qui ne l’a, en 2008, pas dérangée, ni, semble-t-il, aucun de ses collègues judiciaires.

Elle raconte aussi avoir surpris, dans les couloirs du Palais de justice, lors du délibéré du procès en appel, une conversation d’une dame travaillant aux ressources humaines de la Société générale « qui disait qu’elle était ulcérée que Jérôme Kerviel serve de fusible » :

« Tout en connaissant ma qualité, elle a surenchéri en m’expliquant qu’en janvier 2008, après la découverte des faits, Frédéric Oudéa, à l’époque directeur financier, avait “séquestré” un certain nombre de cadres afin de leur faire signer un engagement de confidentialité de tout ce qu’ils avaient pu apprendre et qu’ils s’engageaient même à ne pas en parler à leur propre conjoint. De ce qu’elle me disait, la plupart des personnes ont signé cet engagement. »

La commandante s’étonne également que « dans le cadre du fonctionnement procédural de cette enquête, […] il n’ait jamais été possible d’obtenir une expertise sur le montant des pertes déclarées par la Société générale ».

Ce témoignage fait tomber la ligne d’accusation de la Société générale. La banque, qui avait traité, au moment des faits, Kerviel d’« escroc » et de « terroriste », expliquait ainsi que jamais, ô grand jamais, elle n’avait été au courant du jeu dangereux du trader, qui avait parié jusqu’à 50 milliards de positions dans la salle des marchés, une somme supérieure aux fonds propres de la banque.

Avec les nouvelles révélations de Mediapart, « l’affaire Kerviel » continue de se détricoter. En mars 2014, un arrêt de la Cour de cassation avait déjà cassé le procès au civil : confirmant certes les trois ans de prison ferme pour Kerviel, la Cour avait annulé les 4,9 millions de dommages et intérêts réclamés au condamné.

Lire > Jérôme Kerviel : Naissance d’un mythe

De la Société Générale à l’Etat

« Il faut rester prudent », commente toutefois un chroniqueur judiciaire qui a suivi l’affaire depuis le début, et qui continue de se demander : « Si la Société générale savait, alors pourquoi y a-t-il eu 900 fausses écritures dans le système ? Et pourquoi la ligne de défense de Kerviel, au début du procès, a-t-elle consisté à affirmer qu’il était seul sur le coup ? Il l’a déclaré devant le juge Van Ruymbeke qu’on ne peut pas accuser de collaborer avec le monde financier. » Il faut aussi se demander pourquoi la commandante de police, qui a gardé le silence pendant des années, parle aujourd’hui. Enfin, pourquoi la justice a-t-elle laissé se dérouler un procès où manifestement, les dés étaient pipés ?

Ce lundi, plusieurs politiques et personnalités ont réclamé la réouverture du procès : Eva Joly et Jean-Luc Mélenchon, défenseurs de longue date de Jérôme Kerviel, mais aussi Cécile Duflot ou Julien Bayou, porte parole d’EELV, qui tentera de poser une question à l’AG des actionnaires le 19 mai. Le député socialiste Yann Galut, vice-président du groupe socialiste à l’Assemblée et spécialisé sur les questions de fiscalité a lui, exigé « la création d’une commission d’enquête parlementaire pour faire la lumière sur les agissements de la Société générale ». Pour Olivier Dartigolles, le porte-parole du PCF, qui a réagi sur Twitter, au-delà des agissements de la banque, c’est le fonctionnement de la justice qui est en cause :

Il est vrai que plusieurs points de l’affaire restent incompréhensibles. Pourquoi le parquet a-t-il classé sans suite certaines demandes d’expertise déposées ? Pourquoi la lumière n’a-t-elle jamais été faite sur les pertes réellement dues aux agissements de Kerviel – les opérations n’avaient pas été « débouclées » à l’époque du procès –, alors même qu’une déduction fiscale d’1,7 milliard d’euros a été accordée à la banque en 2008 par Christine Lagarde, au motif que la Société générale avait été flouée ? Le mystère reste entier. Espérons-le, plus pour longtemps.

-Article sur une politique monétaire à coutre courant:

L'idée choc étudiée en Islande : et si on retirait aux banques la capacité de créer de la monnaie ?

Romaric Godin | 23/04/2015

sur le même sujet

Décidément, l'Islande est le pays de la créativité financière. Après avoir montré, en 2009, qu'il existait bien une alternative au transfert de la dette bancaire vers la dette publique, l'île nordique pourrait s'apprêter à réaliser une grande expérience monétaire.

Le 31 mars dernier, en effet, le président du comité des affaires économiques de l'Althingi, le parlement islandais, Frosti Sigurdjonsson, a remis un rapport au premier ministre, Sigmundur Gunnlaugsson, sur la réforme du système monétaire islandais. Et c'est une véritable révolution qu'il propose.

L'absence de maîtrise de la banque centrale sur le système monétaire

Le rapport cherche en effet à réduire le risque de bulles et de crises dans le pays. En 2009, l'Islande a connu une crise très aiguë qui a fait suite à une explosion du crédit alimenté par un système bancaire devenu beaucoup trop généreux dans ses prêts et beaucoup trop inconscient dans sa gestion des risques.

Ni l'Etat, ni la Banque centrale islandaise (Sedlabanki) n'ont pu stopper cette frénésie. « Entre 2003 et 2006, rappelle Frosti Sigurdjonsson, la Sedlabanki a relevé son taux d'intérêt et mis en garde contre une surchauffe, ce qui n'a pas empêché les banques d'accroître encore la masse monétaire. »

Comment fonctionne le système actuel

Dans le système actuel, ce sont en effet les banques commerciales qui créent l'essentiel de la masse monétaire, en accordant des prêts à discrétion. La banque centrale ne peut que tenter de décourager ou d'encourager, par le mouvement des taux ou par des mesures non conventionnelles, cette création. Mais la transmission de la politique monétaire aux banques n'est jamais une garantie.

Malgré la hausse des taux de la Sedlabanki, la confiance et l'euphorie qui régnait en Islande au début des années 2000 a soutenu le processus de création monétaire. Lorsque la demande existe, rien ne peut empêcher les banques de prêter. Lorsqu'elle disparaît, rien ne peut les contraindre à le faire. Et souvent, ces mouvements sont excessifs, ce qui créé des déséquilibres, puis des corrections par des crises où l'Etat doit souvent venir au secours des banques. Et lorsqu'il faut faire repartir l'activité, les banques centrales ont souvent des difficultés à être entendue.

Le cas de la zone euro en est une preuve. Il a fallu que la BCE use de moyens immenses, l'annonce d'un QE de 1.140 milliards d'euros, pour que le crédit commence à se redresser dans la zone euro et encore, de façon fort limitée pour l'instant.

Une idée ancienne

D'où cette idée centrale du rapport de Frosti Sigurdjonsson : ôter aux banques le pouvoir de création monétaire. Comme le souligne l'ancien président de l'autorité financière britannique, Aldair Turner, qui préface le rapport, « la création monétaire est une matière trop importante pour être laissée aux banquiers. »

Cette idée n'est, en réalité, pas neuve. Après la crise de 1929, des économistes étatsuniens avaient proposé en 1933 le « plan de Chicago » qui proposait d'abolir la capacité des banques à créer par elle-même de la monnaie. Il avait eu un grand succès, mais pas de traduction concrète véritable.

En 1939, l'économiste Irving Fischer, un de ceux qui avaient examiné de plus près la crise de 1929, avait proposé de transférer le monopole de la création monétaire à la banque centrale. James Tobin, Milton Friedman et d'autres ont également réfléchi sur ce sujet. Mais la proposition islandaise, que Frosti Sigurdjonsson présente comme « une base de discussion » pour le pays, est la première proposition de passage à un autre système qu'il appelle le « système monétaire souverain. »

Décider de la création monétaire dans l'intérêt de l'économie

Quel est-il ? Le rapport indique que l'Islande « étant un Etat souverain avec une monnaie indépendante est libre de réformer son système monétaire actuel, qui est instable et de mettre en place un système monétaire de meilleure qualité. » Dans ce système, seule la Banque centrale aura le monopole de la création monétaire, aucune couronne ne pourra circuler si elle n'a pas été émise par la Sedlabanki à l'origine.

Cette dernière pourra donc faire évoluer la masse monétaire en fonction de ses objectifs « dans l'intérêt de l'économie et de toute la société. » Frosti Sigurdjonsson propose qu'un « comité indépendant du gouvernement prenne des décisions sur la politique monétaire de façon transparente. »

La Banque centrale créera de la monnaie en accordant des prêts aux banques commerciales pour qu'elles prêtent ensuite des sommes équivalentes aux entreprises et aux particuliers, mais aussi en finançant des augmentations de dépenses publiques ou des exemptions d'impôts, ou encore par le rachat de dettes publiques. Pour empêcher la création monétaire par le système bancaire, deux types de comptes auprès de la banque centrale seront créés.

Comptes de transactions et d'investissements

Les premiers seront les « comptes de transactions. » Ces comptes représenteront les dépôts des particuliers et des entreprises. Les banques commerciales administreront ces comptes, mais ne pourront pas en modifier les montants. L'argent déposé sur ses comptes ne rapportera pas d'intérêt, mais sera garantie en totalité par la banque centrale.

Un deuxième type de comptes, les « comptes d'investissements », sera créé en parallèle. Les agents économiques pourront transférer des fonds des comptes de transaction vers les comptes d'investissements. L'argent placé sur ses comptes seront investis par les banques et seront bloqués durant une période déterminée.

Les banques pourront alors proposer à ceux qui placent leur argent dans ces fonds différents types de produits, notamment des produits risqués à haut rendement. Il s'agit concrètement de séparer autant qu'il est possible l'argent du crédit. Le risque lié au crédit ne disparaît pas, mais il est limité par l'obligation de ne prêter que l'argent déposé sur ces comptes d'investissements.

Plus de Bank Runs

Pour Frosti Sigurdjonsson, ce système permettra une gestion plus réaliste de la masse monétaire non plus dans l'intérêt des agents privés, mais dans celui de la collectivité. La garantie sur les dépôts permettra d'éviter une course aux guichets (Bank Run), sans réduire, du reste, la responsabilité de ceux qui auraient investi dans des produits à risque.

Avec ce système, une séparation bancaire entre banque d'investissement et banque de dépôts n'est pas nécessaire, puisque l'activité de banque de dépôts sera garantie par la banque centrale. Du reste, la garantie implicite de l'Etat dont bénéficient les grandes banques disparaîtra d'elle-même.

Gérer la transition

Pour la transition, Frosti Sigurdjonsson propose de transférer les dépôts détenus dans les banques commerciales vers les comptes de transaction. Ce transfert se fera par l'émission d'une créance sur les banques qui sera détenue par la Sedlabanki et qui sera payée sur plusieurs années par les banques.

Ce « passif de conversion » s'élèverait à 450 milliards de couronnes islandaises, soit 3,05 milliards d'euros. Cet argent issu des banques commerciales sera donc progressivement remplacé par de l'argent issue de la banque centrale. Dans cette phase de transition, les sommes versées par les banques pourraient servir soit à réduire la dette publique, soit à réduire, si besoin, la masse monétaire, par l'annulation d'une partie des fonds versés.

Les problèmes posés

Cette proposition ne règlera certes pas tous les problèmes. Certes, les prêts seront sans doute moins importants et la croissance de l'économie sans doute moins forte. Mais le projet est d'avoir une économie plus stable et, sur le long terme, tout aussi performante. Plutôt que de voir l'économie croître de 5 % par an, puis de corriger de 3 % ; on pourrait avoir une croissance stable de 2 % par an sans à-coup...

L'indépendance du comité de la Banque centrale sera très hypothétique, car l'Etat sera une courroie naturelle de la création monétaire et un risque d'excès n'est pas, ici, à exclure, même si l'Etat peut aussi bien prétendre représenter l'intérêt général que ce comité indépendant.

Mais une ambiguïté peut ici être problématique. Les liens avec les autres systèmes monétaires classiques pour une petite économie comme l'Islande sont encore à explorer. Matthew Klein, dans le Financial Times, a souligné également que ce nouveau système ne réduit pas le risque de financement d'investissements à long terme par des investissements à court terme qui avait été à l'origine de la crise de 2007-2008.

Enfin, il ne s'agit là que d'une proposition. Le premier ministre a bien accueilli le rapport. Mais ira-t-il jusqu'à lancer un tel chambardement de grand ampleur ? Les Islandais seront-ils prêts à franchir le pas ? La discussion est, du moins, lancée.

___

Lire (en anglais) le rapport du parlement islandais ici.

Affaire Kerviel: des parlementaires veulent «tout reprendre à zéro»
http://www.mediapart.fr/article/offert/d63d9ef7cf477de1bb34c3c82a9b2148

Affaire Kerviel: des parlementaires veulent «tout reprendre à zéro»

19 mai 2015 | Par Dan Israel et Mathieu Magnaudeix et Ellen Salvi

Ils sont députés ou sénateurs, membres du PS, du PCF, de l'UDI ou de l'UMP. Tous demandent que le scandale Société générale/Kerviel soit revisité de fond en comble, après les récentes révélations de Mediapart. Par une révision du procès; par une commission d'enquête parlementaire; par de nouvelles enquêtes judiciaires. Entretiens avec Charles de Courson (UDI), Yann Galut (PS), Georges Fenech (UMP) et Éric Bocquet (PCF).

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Quatre parlementaires, députés ou sénateurs et membres des principaux partis (PS, UMP, UDI, Front de gauche). Interrogés par Mediapart au lendemain de nos révélations sur le témoignage de la commandante de police qui a dirigé l'enquête, tous demandent que le dossier Société générale/Kerviel soit rouvert. Entretiens.

  • Yann Galut (PS): «Il faut tout reprendre à zéro»

Le député socialiste du Cher Yann Galut, rapporteur de la loi de lutte contre la fraude fiscale à l’Assemblée nationale, a été le premier à demander une commission d’enquête après les révélations de Mediapart sur l’affaire Kerviel. Il s’en explique.

Suite aux révélations de Mediapart, vous avez parlé de « dysfonctionnements particulièrement graves dans le système judiciaire de notre pays ». Pourquoi ?

Ce témoignage n’est pas celui d’une subalterne : la cheffe enquêtrice de la brigade financière Nathalie Le Roy a dirigé l’enquête, c’est elle qui connaît le mieux le dossier Kerviel. Elle a passé des années avec ce dossier. Sa déposition devant un juge fait l’effet d’une bombe. Convoquée par un juge d’instruction après la plainte de Jérôme Kerviel en escroquerie au jugement, elle a le courage d’avouer qu’elle s’est trompée, qu’elle n’a pas eu les moyens de son enquête et qu’elle a sûrement été manipulée.

Elle sait très bien qu’elle va être attaquée, qu’on va peut-être lui reprocher d’avoir mal mené son enquête. Elle se met en danger pour faire éclater la vérité. Le rôle du Parquet dans cette affaire est posé. En tant que son supérieur hiérarchique, c’est le Parquet qui a orienté son enquête, lui a dit comment la mener, a indiqué les réquisitions complémentaires et les auditions à faire. Nathalie Le Roy dit au juge qu’elle était d’abord convaincue de la culpabilité de Kerviel, puis qu’elle a acquis la conviction que sa hiérarchie savait, et qu’alors à ce moment-là on ne lui a pas donné les moyens de le démontrer. Le Parquet s’est-il dit dès le départ que la Société générale ne pouvait pas avoir sa part de responsabilité ? La question de la sincérité du procès est posée. Si le juge Le Loire fait corroborer ses éléments par d’autres témoignages, alors Jérôme Kerviel ne pourra pas être tenu comme le seul responsable. Dans ce cas, le procès Kerviel tombe et il faut tout reprendre à zéro.

Le juge Le Loire doit donc auditionner de nouveaux témoins ?

Ce n’est pas à moi en tant que parlementaire de dire au juge ce qu’il doit faire. Mais comment imaginer que le salarié évoqué par Mediapart qui a alerté plusieurs mois à l’avance ses supérieurs sur les agissements de Jérôme Kerviel en envoyant un mail avec une tête de mort ne soit pas entendu ? Que les cadres supérieurs qui ont apparemment été séquestrés dans le bureau du directeur financier jusqu’à ce qu’ils signent un accord de confidentialité ne soient pas auditionnés ? Qu’il n’y ait pas de perquisitions, notamment pour savoir ce que disent ses fameuses clauses de confidentialité ? Qu’on n’interroge pas le fameux directeur financier, tous les cadres de la Société générale ? La vérité doit éclater. Car si ce que dit Kerviel est exact, si ce que dit la cheffe enquêtrice est exact, on est face à un scandale d’État.

Yann Galut © DR

Vous réclamez une commission d’enquête parlementaire. On va vous répondre que ce n’est pas possible sur une affaire judiciaire en cours – c’est toujours ainsi au Parlement, même si le règlement de l’Assemblée ne le stipule pas. Sur quoi porterait-elle donc ?

Il ne s’agit pas de rentrer dans le détail de l’affaire. Mais il faut vérifier quelle a été l’influence de la Société générale sur le pouvoir politique. J’ai l’impression que les ministres des finances se sont laissé influencer par la Société générale qui s’est posée en seule victime. Cette thèse a été prise pour argent comptant, et tout ce qui pouvait la démentir a été balayé.

Il faut absolument qu’on puisse déterminer s’il n’y a pas eu des pressions, s’il n’y a pas eu des contre-vérités avancées. Et notamment en vertu de quelles garanties le ministère de l’économie et des finances a octroyé 2,2 milliards d’euros de ristourne fiscale à la société générale pour combler ses pertes. D’ailleurs, le chiffre lui-même de 5 milliards de pertes avancé par la Société générale n’a été validé par personne d’autre que la banque. Le parlementaire que je suis, le membre de la commission des finances qui se bat tous les jours pour récupérer 20 millions par-ci, 50 millions d’euros par là a le droit de savoir pourquoi on a fait un gros cadeau fiscal de 2,2 milliards d’euros à la Société générale.

S’il est avéré que la Société générale a sa part de responsabilité, comme je le subodore, alors elle devra rembourser cette somme. Je vais envoyer une lettre en ce sens dans les prochaines heures au ministre du budget (Michel Sapin), au secrétaire d’État au budget (Christian Eckert), à la rapporteure générale du budget à la commission des finances (la députée PS Valérie Rabault) et au président de la commission des finances (l’UMP Gilles Carrez).

Selon vous, que dit cette affaire des relations entre le pouvoir et les banques ?

Elle pose la question de la puissance des banques et de leur contrôle. Dans cette affaire, a-t-on voulu retenir la thèse d’un seul et unique responsable pour ne pas déstabiliser une banque française au moment de la crise des subprimes ? De façon générale, quelles sont les véritables relations des banques avec le pouvoir politique ? Pourquoi ne remet-on jamais en cause ce qu’elles disent ? On l’a vu sur la loi bancaire [finalement de portée très réduite - ndlr], sur la lutte contre les implantations des banques françaises dans les paradis fiscaux, sur la taxe contre les transactions financières que Bercy voulait minime pour « ne pas déstabiliser les banques françaises ».

Vous demandez également la révision du procès Kerviel

Oui, la question doit être posée. Jérôme Kerviel a été condamné pour ses agissements personnels, qu’il a reconnus. Mais il a toujours précisé que sa hiérarchie savait, et même que la Société générale couvrait ses agissements. Il a d’ailleurs fait gagner beaucoup d’argent à la banque dans les mois précédents avant que cela se retourne contre lui. S’il n’est pas, comme il le dit, le seul coupable, alors les indemnités civiles doivent être partagées, et la responsabilité pénale de Kerviel n’est pas la même s’il a été couvert par sa hiérarchie. Si l’enquête prospère, et je pense que le juge Le Loire va aller jusqu’au bout au vu de ce témoignage, il faudra bien que le procès Kerviel soit révisé.

Vous estimez que Nathalie Le Roy est une lanceuse d’alerte. Est-elle menacée ?

Dans les heures qui viennent, cette commandante de police va devenir une cible pour toute une série de gens. Je demande officiellement la protection de sa réputation et de son intégrité. Elle doit bénéficier du statut du lanceur d’alerte pour qu’il n’y ait pas de sanction de sa hiérarchie, pas de pression sur elle. Si elle se considère en danger professionnel ou personnel, si elle subit des pressions, elle doit être protégée par les programmes de protection des lanceurs d’alerte mis en place par le ministère de l’intérieur. Elle doit pouvoir si nécessaire bénéficier de la protection fonctionnelle des fonctionnaires, d’une protection physique. Il faudrait à terme un véritable statut du lanceur d’alerte, que nous n’avons toujours pas dans notre droit.

  • Georges Fenech (UMP) : « La justice a été trompée »

Ancien juge d’instruction et actuel responsable des questions de justice à l’UMP, le député du Rhône Georges Fenech avait signé en décembre 2014 une tribune sur l’affaire Kerviel, dans laquelle il faisait part de son « malaise » face à la désignation d’un « coupable idéal ». « Le syndrome de l'erreur judiciaire ou, a minima, celui d'un procès inéquitable envahit les esprits », avait-il écrit dans le JDD. Après les révélations de Mediapart, l’élu UMP « appelle de [ses] vœux une révision de ce procès ». « Je vois mal comment la puissance publique, l’autorité judiciaire, le parquet, pourraient balayer d’un revers de main cet événement », dit-il.

Georges Fenech. © Reuters

Quel regard portez-vous sur l’affaire Kerviel à la lumière des nouveaux éléments ?

Georges Fenech. J’ai depuis le début de cette affaire le sentiment que la justice n’est pas allée jusqu’au bout. J’avais rencontré Me Koubi, l’avocat de Jérôme Kerviel, sur le sujet. Je m’étais immédiatement rendu compte que certains éléments du dossier n’avaient pas été explorés : scellés, boîtes mails… Certains témoins n’avaient pas pu s’exprimer librement. Cette enquête apparaît aujourd’hui comme ayant été tronquée. On a le sentiment que la justice a été trompée. Cela ne veut pas dire que l’on dédouane complètement Kerviel de ses responsabilités, mais qu'il semble clair que le jugement qui a été rendu ne concerne qu’une petite partie de l’affaire. À ce titre, je considère qu’il n’est pas satisfaisant.

Le procès doit-il être révisé ?

Le témoignage que la commandante de police chargée de piloter cette affaire à la brigade financière a livré au juge Roger Le Loire est sans précédent dans l'histoire judiciaire. Sa déclaration mérite à elle seule une révision du procès et j’appelle de mes vœux cette révision. D’ailleurs, je vois mal comment la puissance publique, l’autorité judiciaire, le parquet, pourraient balayer d’un revers de main cet événement. La balle est désormais dans les mains de la chancellerie.

Que pensez-vous du rôle de la Société générale dans cette affaire ?

On ne peut pas reprocher à l’une des parties d'avoir voulu se défendre. Pour autant, les moyens engagés par cette banque [100 millions d’euros pour les seuls frais de communication – ndlr] n’ont rien à voir avec ceux de Jérôme Kerviel. Cela participe forcément au malaise. La question que soulève cette affaire est surtout celle de l’inefficacité et de l’impuissance de la justice et des enquêteurs pour démasquer le vrai du faux face à la puissance financière des grandes banques. Il faudrait donner beaucoup plus de moyens à la justice, et notamment à la justice financière, pour qu’elle puisse réaliser de vraies enquêtes. Pour le moment, ces moyens sont dérisoires.

Le député PS Yann Galut demande la création d'une enquête parlementaire. Soutenez-vous cette initiative ?

C’est compliqué de réaliser une commission d’enquête parlementaire car on ne peut pas le faire sur une procédure en cours. Or le volet civil de l’affaire a été cassé par la Cour de cassation et doit être de nouveau jugé. On pourrait en revanche imaginer une commission d’enquête parlementaire sur le fonctionnement général des marchés boursiers, etc. Pourquoi pas ?

  • Eric Bocquet (PCF): «L’occasion de rechercher la vérité»

Pour Jean-Luc Mélenchon, l’un des plus forts soutiens de Jérôme Kerviel, aucun doute. L'affaire Kerviel « est le symbole de la collusion entre l'oligarchie politique et l'oligarchie financière », a déclaré le leader du Parti de gauche à propos des dernières révélations de Mediapart, en appelant à l'ouverture d'une commission d'enquête parlementaire.

Autre membre du Front de gauche, le sénateur communiste Éric Bocquet s’intéresse lui aussi de près au dossier. Il a été le rapporteur de deux commissions parlementaires sur l’évasion fiscale et le rôle des banques dans ce processus, en 2011 et en 2013. Il appelle l’État à « se pencher à nouveau sur la ristourne fiscale accordée à la Société générale ».

Pensez-vous que la justice devrait ouvrir à nouveau le volet pénal de l’affaire ?

La situation nécessite en effet un nouveau procès dans cette affaire, de toute évidence. Les dés étaient pipés dès le départ. Mais il est trop facile de faire porter le chapeau à Jérôme Kerviel, qui n’a jamais contesté ses activités de trading, et les fautes qu’il a commises. Et il n’est pas du tout sérieux de penser que la banque ne savait rien de ses agissements.

Et que penser de la ristourne fiscale accordée à la banque ?

Cette question concerne directement l’État. Il faut se pencher à nouveau sur la ristourne fiscale de 1,7 milliard d’euros accordée par Bercy à la Société générale en mars 2008. Cette somme correspond au tiers des pertes déclarées par la banque. On s’est peut-être un peu précipité pour l’accorder…
Il faut profiter de cette occasion pour rechercher la vérité, encore une fois. Et c’est d’ailleurs le discours que tenait François Hollande avant qu’il soit président. [En octobre 2010, il avait en effet déclaré sur Canal + : « Parmi toutes les choses choquantes dans cette affaire, et il y en a beaucoup, maintenant on apprend que la Société Générale va être remboursée pour son manque de vigilance. (…) Comment admettre que lorsqu'une banque fait une erreur ce soit le contribuable qui paie ? » - ndlr.]

Êtes-vous favorable à l’ouverture d’une enquête parlementaire sur cette question ?

Dans la mesure où le dossier est encore dans les mains de la justice [le volet civil de l’affaire a été cassé par la Cour de cassation et doit être de nouveau jugé en janvier - ndlr], je ne sais pas du tout si cela est possible. Mais cela vaudrait certainement le coup de s’y intéresser pour les parlementaires.

  • Charles de Courson (UDI) : « Il faut rouvrir le procès »

Charles de Courson est député UDI, secrétaire de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Lorsqu’il travaillait à Bercy dans les années 1980, il a côtoyé Daniel Bouton, dirigeant de la Société générale lorsque l’affaire Kerviel a éclaté. Il ne croit pas qu’un trader puisse agir sans l’aval de sa direction. Après les révélations de Mediapart, il appelle à rouvrir le procès.

Comment réagissez-vous aux doutes émis devant le juge d’instruction par la principale enquêtrice de police dans l’affaire Kerviel ?

Ces déclarations ne m’étonnent nullement. Je n’ai jamais cru un seul instant que Jérôme Kerviel, pas plus que ses autres collègues traders, ait pu spéculer à de tels niveaux sans l’accord de ses supérieurs. Laisser penser, comme l’ont fait les décisions de justice qui l’ont condamné, que Jérôme Kerviel agissait tout seul dans son coin, sans connaissance de sa hiérarchie, je ne l’ai jamais cru. Ce qui est grave dans le témoignage de l’enquêtrice de la brigade financière, c’est qu’elle n’est justement pas membre de la hiérarchie bancaire ! Pourquoi a-t-elle accepté de se faire orienter de cette façon par la banque ? Pourquoi les enquêteurs se sont-ils laissé faire ?

La Société générale pouvait-elle ne pas savoir ?

Je connais bien Daniel Bouton, le dirigeant de la Société générale à l’époque, pour avoir été chef de bureau avec lui à la direction du budget il y a un quart de siècle. En 2008 ou en 2009, je lui ai demandé s’il savait réellement ce qui se passait dans la salle de marché de sa banque. Il avait répondu par la négative. Cela illustre assez bien la situation des dirigeants des établissements financiers : Daniel Bouton, comme ses collègues, ne voulait pas savoir ce qui se passait sous sa responsabilité. Tant que les traders gagnaient de l’argent, il n’a pas cherché à en savoir plus. Bien entendu, rien n’a jamais été écrit explicitement, mais tant que Jérôme Kerviel gagnait, tout allait bien, on l’a laissé faire. C’est quand il a perdu que les problèmes sont arrivés.
Daniel Bouton m’a avoué qu’au plus haut de la vague de spéculation, plus d’un tiers des résultats de la Société générale provenait de la salle de marché. Certes, à l’époque toutes les banques ne fumaient pas la moquette à un tel niveau. La BNP a beaucoup moins spéculé, par exemple, mais beaucoup de banques ont fumé la moquette !

Êtes-vous favorable à une révision du procès de Jérôme Kerviel ?

Quand il y a des éléments nouveaux, dans un État de droit et avec une justice bien conçue, il faut en effet rouvrir le procès. Par ailleurs, si la justice découvre que certains ont témoigné sous ordre, ou ont été manipulés pour dire autre chose que la vérité, ils devront être condamnés pour faux témoignage.

Une commission d’enquête parlementaire permettrait-elle de faire plus de lumière sur le dossier ?

Pourquoi pas, mais je ne sais pas si une commission d’enquête obtiendra beaucoup d’information : mis à part les traders « convertis », qui ont abandonné leur activité, qui viendrait témoigner de la vérité ? Est-ce que ceux qui font ça depuis des années parleraient ? De plus, une procédure judiciaire est toujours en cours [le volet civil de l’affaire a été cassé par la Cour de cassation et doit être de nouveau jugé en janvier - ndlr], et je ne sais pas si les parlementaires auraient accès à des informations qui sont de fait réservées à la justice. Sans compter que le gouvernement demanderait immédiatement le huis clos pour ne pas affaiblir la réputation des banques françaises… Je vois déjà comment chacun jouerait sa partition.

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